Mdhilla : Au quartier “Sariaa”, “On vit sur de l’or. Mais nous n’en récoltons que la maladie et la pauvreté.”
Mdhilla, 15’000 habitants, posée quelque part au sud-ouest de la Tunisie, cette cité industrielle du bassin minier héberge deux pôles d’activités : une unité de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (ici sur la photo) et une unité régionale du Groupe Chimique Tunisien. Malgré cela, Mdhilla reste une des villes les plus pauvres du pays.
Rencontre improvisée avec des habitants du quartier de « Sariaa » (Rapide). Un quartier qui héberge principalement des familles semi-nomades qui ne restaient jamais longtemps sur place. Aujourd’hui, les habitants ne partent plus vraiment, la pauvreté et la rudesse de leurs conditions de vie les obligent à rester sur place. Tout le quartier est bâti sur le lit d’un oued remblayé au fur et à mesure des nouvelles constructions.
Mahjouba, 65 ans, femme au foyer. Du passé de combattant de son mari décédé, elle n’a obtenu de l’Etat tunisien qu’une médaille et une maigre pension : 200 dinars par mois. “Alors que d’autres ont demandé des compensations de leurs années de résistance, mon mari n’a rien voulu demander. Il disait toujours que son engagement était au service du pays et non pour obtenir des privilèges” dit-elle fièrement. Presque aveugle, par faute de moyens pour financer une opération des yeux, sa seule préoccupation reste ses 6 fils, tous au chômage. “On ne demande pas la lune, dit-elle, que l’on trouve du travail pour au moins un d’entre eux.”
Mohamed, 50 ans, conducteur de tractopelle. Au chômage depuis 2 mois suite à un accident de la route. Il a été renversé par un camion de l’armée, dont les occupants se sont contentés d’appeler le SAMU. Le cauchemar commence ici. Opéré une première fois à l’hôpital de Gafsa, il est resté plus d’un mois avec une barre métallique non fixée dans la jambe, un manque de soin qui a entrainé des douleurs atroces au niveau de sa cheville et a failli lui couter sa jambe. C’est la famille et les voisins qui ont dû se cotiser pour trouver les 500 dinars nécessaires à une deuxième opération, dans le privé cette fois-ci, pour fixer la barre à son tibia.
Dans l’incapacité d’exercer son métier, Mohamed se débrouille pour faire vivre sa petite famille. Leur seule source de revenus est le salaire de son fils, fraîchement embauché, pour moins de 200 dinars par mois, au chantier « d’Al Hadhira ». Sa fille est au chômage et fait des petits travaux de couture pour aider sa famille.
La famille de Mohamed vit dans une modeste maison dans des conditions sanitaires déplorables. “Ici, on a toujours vécu dans la misère la plus totale et pourtant je n’arrive toujours pas à m’habituer à préparer à manger dans cette cuisine qui tombe en ruine“, me confie, au bord des larmes, l’épouse de Mohamed.
Jazia, a été abandonnée par son mari qui ne supportait plus le fils qu’elle a adopté et qu’elle chérie plus que tout. « Mon ex-mari m’a demandé de choisir entre lui et mon garçon, j’ai choisi mon garçon. » Le regard perçant de Jazia défie les difficultés de la vie et impose le respect. Nullement intimidée par ma caméra, elle a choisi de “poser” sur son lit.
Jazia vivote avec son fils adoptif, grâce à une ridicule pension alimentaire de 100 dinars par mois. Les explosions dans les mines de phosphates endommagent les maisons et en fissurent les parois. Résultat : l’humidité est partout et les murs sont recouverts de tâches. La maison de Jazia n’est pas épargnée par ce phénomène.
Romdhana est une femme battante. Elle prend les épreuves de la vie avec un détachement déroutant. Le petit sourire mélancolique qui ne quitte jamais ses lèvres et son visage bienveillant contraste tellement avec les conditions de vie de sa famille. Les bras grands ouverts elle m’accueille en répétant comme une prière “regarde, regarde, regarde comment on vit” comme pour dire “Nul besoin de long discours pour s’indigner”.
Jarw a 70 ans, dont 35 passés dans les mines de phosphate. Il touche une retraite de misère : à peine plus de 200 dinars. Il est presque sourd. « À cause du bruit des explosifs » affirme son épouse Romdhana. Jarw soufre également de problèmes rénaux très répandus dans la région à cause de la qualité médiocre de l’eau. Il passe ses journées assis sur cette chaise à regarder son épouse s’affairer pour tenir cette maison qui ne compte qu’une seule arrivée d’eau. Romdhana s’occupe de sa fille, Massouda et son petit fils Walid qu’elle héberge depuis le décès de son gendre. Mohamed, le neveu de Romdhana, vit également dans la maison depuis son divorce. Tout ce petit monde vit de la retraite de Jarw.
La vie professionnelle de Mohamed ? De longues périodes de chômage entrecoupées par des petits boulots. À 60 ans, il se retrouve à vivre chez sa tante Romdhana, après s’être séparé de sa femme qu’il n’avait plus les moyens de faire vivre. La voix tremblante et les yeux hagards, Mohamed m’interpelle : « Est-ce si dur de résoudre nos problèmes et nous permettre une vie décente ? On vit sur de l’or. Mais nous n’en récoltons que la maladie et la pauvreté. Pour nous c’est trop tard, mais que vont faire nos enfants ? »
Les traces de l’humidité sont visibles dans toutes les maisons du quartier. Des fresques abstraites se dessinent sur tous les murs, matérialisant le danger latent qui guette les habitants des lieux. Les cas d’asthmes, de bronchites chroniques et d’arthroses sont très fréquents et touchent particulièrement les enfants.
Quand Massouda pense à son avenir et à celui de son fils Walid, elle ne voit rien. Coincée chez sa tante, cette mère de famille s’inquiète pour son enfant dont la santé est déjà fragile. Il souffre d’asthme, comme beaucoup ici. Pour ses difficultés financières, Massouda sait qu’elle ne peut compter que sur elle-même. Son mari est décédé et en tant que mère veuve, il lui sera très difficile de se remarier.
Hana, la cinquantaine, veuve, élève seule ses 5 enfants. Son mari a été emporté par une maladie professionnelle après 18 ans passés au sein de la Compagnie de Phosphate. « Mon mari est une victime de la Compagnie. Il y est rentré en bonne santé et il en est sorti avec un handicap qui l’a cloué au lit pendant 8 ans. Il est décédé alors que l’aîné de mes enfants avait à peine 10 ans. » Aucun des enfants de Hana n’a terminé ses études, faute de moyen. Aujourd’hui, âgés de 18 à 30 ans, aucun d’entre eux ne travaille.
Toute la famille de Hana vit avec une pension de 235 dinars. Leur maison n’est pas raccordée à l’eau potable. « Ça fait 12 ans que je prends l’eau de chez les voisins. Heureusement qu’ils sont là. » Des promesses, Hana en a entendu beaucoup de la part du feu RCD local. Tout ce qu’elle a obtenu c’est une aide pour ajouter deux chambres à sa modeste demeure. Elle n’en a vu que le premier versement. Depuis, les deux pièces inachevées servent de débarras et de terrain de jeu pour les enfants du quartier. Hana souffre de problèmes cardiaques et suit un lourd traitement. « J’espère que le nouveau Président réussira à améliorer nos vies » me dit-elle sans trop y croire.
Au cœur de tous les échanges, les enfants sont la plus grande préoccupation des familles mais en même temps leur seule raison d’espérer. Dans une Tunisie qui se veut nouvelle, quelle chance aura ce petit garçon de 4 ans au visage angélique de briser la spirale de la pauvreté et vivre une vie meilleure que celle de ses parents ?
Malek Khadhraoui, Naawat, 6 février 2012.