Mourad Dhina ne doit pas être extradé vers l’Algérie
Mourad Dhina, membre fondateur du mouvement politique Rachad (créé en 2007) et directeur exécutif de l’organisation de défense des droits de l’homme dans les pays arabes Al-Karama, a été arrêté par la police française à l’aéroport d’Orly le 16 janvier 2012, alors qu’il devait prendre un vol à destination de Genève, où il réside depuis 1994. Il est plus que probable que cette arrestation fait suite à une demande des autorités algériennes, alarmées par les regains d’activité du mouvement Rachad en France. Le 11 janvier 2012, à l’occasion du vingtième anniversaire du putsch militaire en Algérie, un rassemblement a été organisé à son initiative devant l’ambassade algérienne.
Mourad Dhina a été présenté le 17 janvier devant le procureur général de la Cour d’appel de Paris, qui a décidé sa mise en détention aux fins d’extradition. Il a été interpellé pour répondre à un mandat d’arrêt international délivré contre lui en septembre 2003 par le tribunal de Sidi M’hamed à Alger. Il serait accusé d’appartenir à un « groupe terroriste » ayant activé à l’étranger durant les années 1997-1999, en l’occurrence en Suisse. Les autorités de ce pays, qui avaient pourtant été régulièrement saisies par le gouvernement algérien, n’ont jamais poursuivi Mourad Dhina, pour la simple raison que les faits dont il est accusé sont dénués de tout fondement.
Docteur en physique nucléaire, diplômé du MIT, il travaillait au CERN à Genève depuis 1987 tout en enseignant à l’École polytechnique de Zürich. Il résidait alors en France. En réaction au coup d’État militaire du 11 janvier 1992 et la dissolution du Front islamique du salut (FIS) en mars de la même année, M. Dhina a rejoint ce parti et militait en son sein, notamment pour protester contre son interdiction. En août 1994, lors de la rafle de militants du FIS orchestrée en France par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, sur injonction du DRS algérien, près d’une centaine d’entre eux ont été arrêtés et ont subi un traitement des plus humiliants (dix-neuf d’entre eux ont notamment été déportés illégalement vers le Burkina Faso). M. Dhina, qui n’a pu être arrêté à cette occasion, s’est alors installé en Suisse, où il a continué ses activités professionnelles et politiques.
Fin 1994, un journal suisse publie son nom sur une liste de deux cents personnes soupçonnées d’implication dans un trafic d’armes au profit des groupes armés en Algérie. La justice suisse n’a jamais pu établir l’origine de cette liste, mais un inspecteur de la police de Genève qui l’avait transmise aux services algériens a été jugé et condamné pour espionnage par le Tribunal fédéral. Mourad Dhina, qui s’était porté partie civile au procès, a néanmoins du quitter le CERN. En 1995, Smaïl Lamari, le numéro deux du DRS, s’est déplacé personnellement vers la Suisse pour demander son extradition.
Continuant de militer publiquement, Mourad Dhina devient responsable du bureau exécutif du FIS à l’étranger en 2002 et coorganise son congrès à l’extérieur la même année. C’est à la suite de cette rencontre que le chef du gouvernement algérien de l’époque s’est rendu en Suisse pour demander son extradition. En octobre 2004, il se retire du FIS pour co-créer trois ans plus tard Rachad, un mouvement qui regroupe des militants de tendances diverses.
Il est évident que le harcèlement dont fait l’objet M. Dhina est en relation avec ses activités politiques. Il a toujours dénoncé fermement le rôle joué par le DRS et ses relais dans la « sale guerre » contre le peuple algérien depuis 1992, avec ses massacres et exécutions sommaires ayant fait 150’000 morts, et les disparitions forcées de 20’000 personnes ; il a refusé les mesures de « concorde civile » (en 1999) et de « réconciliation nationale » (en 2005) promues par le pouvoir pour blanchir les responsables des crimes commis pendant les années 1990. C’est cet engagement pour la vérité et la justice, qui ne tolère aucune compromission, qui lui vaut d’être considéré comme l’un des opposants à écarter.
Il est paradoxal que le gouvernement français se fasse l’exécutant zélé de cette volonté du régime algérien, à l’heure où son ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, après les « printemps arabes », ne cesse d’affirmer la nécessité pour la France d’établir de nouveaux rapports avec les islamistes respectueux des principes démocratiques, comme c’est le cas de M. Dhina (« Je souhaite, déclarait ainsi M. Juppé en avril 2011, que [le] dialogue s’ouvre sans complexe aux courants islamiques, dès lors que […] les règles du jeu démocratique [et] le refus de toute violence sont respectés de part et d’autre »). Mais dans le cas de l’Algérie, c’est hélas la continuité des anciennes pratiques qui semble prévaloir : ce n’est pas le Quai d’Orsay qui dicte la politique française vis-à-vis de ce régime, mais bien les services de police, en l’occurrence la DCRI, dont on sait les liens historiques avec la police politique algérienne, le DRS.
Algeria-Watch proteste vivement contre cette arrestation arbitraire qui obéit à une injonction du DRS et rappelle qu’au moment où le général Khaled Nezzar, l’un des responsables du putsch en janvier 1992 et de la « sale guerre », est poursuivi en Suisse, en France, un militant politique qui n’a jamais recouru à la violence est menacé d’être extradé vers un pays régulièrement condamné pour ses graves violations des droits de l’homme.
Communiqué de Algeria-Watch, 22 janvier 2012.
D’où sortez-vous que le FIS « éventrait les femmes enceintes et les pendaient par leurs tripes »? Voyez aussi le témoignage de l’ex-numéro 2 du contre-espionnage algérien, Mohammed SAMRAOUI à propos du vitriolage : « C’est également à cette période qu’au Telemly, un quartier des hauteurs d’Alger, un “intégriste” vitriolait les jeunes filles qui ne portaient pas le hidjab ; ce “mystérieux”extrémiste religieux ne fut jamais identifié, ni a fortiori arrêté, par les services de police. Et pour cause, il sortait lui aussi de la caserne du CPMI de Ben Aknoun » (Chronique des années de sang, Paris, La Découverte, 2003, p. 105).
Ce monsieur n’a peut-être pas eu recours personnellement à la violence, mais le FIS? Le FIS qui appelait à pendre chaque syndicaliste un par un, vitriolait les filles devant les facs, éventrait les femmes enceintes et les pendaient par leurs tripes, démembraient les journalistes et opposants contre l’islamisme… Certes, le DRS… Certes le Quai d’Orsay. Mais dans la « sale guerre », il y avait divers protagonistes.