Égypte : opération coup de poing contre les militaires
Un collectif d’Égyptiens dénonce les exactions commises par les militaires en diffusant artisanalement des films dans les rues du Caire.
Des militants d’un nouveau genre sévissent dans les rues du Caire et dans l’Égypte entière. Leur nom : Askar Kazeboon (« Les militaires sont des menteurs », en arabe). Leur but : dénoncer les exactions commises par les militaires. « Avec des moyens techniques modestes, nous essayons de toucher les gens ordinaires, en leur apportant à domicile des images prouvant la barbarie et la brutalité des militaires contre les manifestants », explique Mohamed Madbouli, membre du mouvement Askar Kazeboon.
En groupe organisé, avec pour arme un vidéoprojecteur, un drap blanc en guise d’écran, un ordinateur portable et deux grandes enceintes, ce collectif projette en pleine rue des vidéos montrant des militaires qui déshabillent des jeunes filles, qui tirent sur la foule, qui matraquent des manifestants en sang. Le groupe souhaite sensibiliser les habitants analphabètes des quartiers défavorisés. « Cette opération cible nos parents, nos voisins, nos frères et soeurs, cette partie de la population qui n’a pas le réflexe naturel de se rendre sur les réseaux sociaux pour s’informer. Mon père ne va pas sur YouTube, mais regarde la télévision d’État, un média orienté qui lui offre un visage très lissé de l’armée », déplore le responsable du mouvement, Amr Al-Sunni.
Violence et émotion
Cette initiative pédagogique ne laisse pas les habitants indifférents, qui l’accueillent entre violence et émotion. « C’est dramatique que l’armée supposée nous protéger nous attaque comme ça… », s’insurge un jeune homme qui a arrêté sa mobylette, l’espace de quelques instants. Un membre du groupe s’approche d’un petit garçon assis sur le sol, visiblement happé par les images. Lorsqu’il lui demande ce qu’il comprend des scènes qu’il voit, le petit répond : « Je comprends que les martyrs de l’Égypte ont été jetés à la poubelle ; je comprends que les mères de ces martyrs sont très tristes… Il y a plein de cadavres… J’apprends beaucoup de choses. »
À l’écart du groupe, des hommes continuent de jouer aux dés et de fumer le narguilé. Il jettent des regards furtifs sur la projection qui leur est imposée. « Moi, ça ne me plait pas, ce que je vois sur l’écran. Je veux que l’Égypte se stabilise. Ce que fait ce mouvement est mal. Ils étalent notre linge sale devant les étrangers, alors que nous sommes des gens bien », s’agace un vieux monsieur. « Tout ça, c’est futile, tout ça enrage les gens, tous ces jeunes qui organisent cela ne peuvent pas être égyptiens, puisqu’ils bousillent notre image », intervient une femme. Elle interpelle violemment le cameraman venu filmer l’évènement : « Et vous, d’où venez-vous ? Vous n’êtes certainement pas égyptien, pour filmer ces bêtises. »
Place Tahrir
Les locataires des immeubles alentour, interpellés par le bruit des haut-parleurs, sortent sur leur balcon et reçoivent les images en plein visage. La rue se fait soudain silencieuse. Qu’ils soient pour ou contre cette opération, les passants contemplent les images très attentivement…
Le 25 janvier, jour anniversaire de la révolution égyptienne, les militaires fêteront cette date qu’ils ont décrétée journée nationale, et des médailles seront décernées aux militaires « qui ont participé à la révolution ». Pendant ce temps, les membres de Kazeboon comptent bien venir tendre leur drap sur la place Tahrir pour projeter un nouveau film…
Leur presse (Fatiha Temmouri, LePoint.fr), 24 janvier 2012.