Les bus du ghetto
Octobre 2011, Djamal, jeune habitant de la Cité du Luth, à Gennevilliers (92) meurt à la prison de Nanterre. Il s’est soi-disant pendu avec son « kit anti-suicide ». Coïncidence ou riposte, peu de temps après deux inconnus ont tenté d’incendier un bus de la ligne 235 au Luth, son chauffeur aurait même été arrosé d’essence. Pendant trois mois aucun bus 235 ne passe plus par la cité, aujourd’hui encore le service n’est que partiel… les habitants se seraient tiré une balle dans le pied ? Le très officiel site du Comité d’entreprise de la RATP nous éclaire sur une réponse possible : « Les cités dites sensibles sont moins bien desservies à cause d’une forme de ghettoïsation : avant le prolongement de la ligne 13 jusqu’à Asnières-Gennevilliers Les Courtilles, la ligne 235 était assurée par des bus articulés. Ce n’est plus le cas et les “clients” de la RATP doivent se tasser dans le bus standard. Ça n’excuse pas l’acte de violence, mais avec l’abandon progressif des zones dites sensibles par les services publics, cela contribue à ce climat. »
Depuis que Jospin a dénoncé le soi-disant « angélisme » de la gôche, elle ne cesse, ensemble avec la droite, de justifier la politique ultra-répressive réservée aux quartiers populaires par la nécessité de lutter contre les « bandes », les dealers… Les actes de violence commis dans les quartiers : bus, écoles, gymnases… brûlés sont qualifiés d’actes « barbares » et de surcroît incompréhensibles, puisque les habitants détruisent le peu d’équipements collectifs dont ils disposent. Il s’agit, pour l’État et ses serviteurs, de nous enfoncer dans la tête l’idée selon laquelle ces populations, en leur très grande majorité des arabes et des noirs, seraient étrangers, comme l’a récemment déclaré Guéant, à « l’art de vivre français, comme les civilités, la politesse, la gentillesse ».
Déjà, lors des révoltes de 2005, gôche et droite s’efforçaient de nier le caractère politique des actions des jeunes émeutiers. Pourtant, ne doit-on se poser la question : s’attaquer à tout ce qui est lié à l’État, des bus aux écoles, n’exprime-t-il pas davantage qu’une colère aveugle ? Ces violences ne constituent-elles pas autant de coups portés aux miettes « démocratiques » qui servent à faire avaler la relégation sociale, raciale, politique ?
Bien sûr, les émeutes, encore locales ou isolées, comme en 2005 ou en 2007, ne sont pas de la politique au sens où notre société le comprend et l’accepte : le droit de mettre un bout de papier dans une urne (droit qui n’existe d’ailleurs pas pour tous).
Pour le moment elles cherchent, parfois aveuglement, leurs cibles. Mais comme la nuée, elles portent l’espoir de l’orage qui annonce un nouveau monde.
Résistons Ensemble no 104, janvier 2012.