Bien que les études bibliques aient fait, ces dernières années, des progrès tout à fait stupéfiants, on ne sait toujours pas bien quels ont été les cadeaux déposés au pied du sapin enguirlandé du petit Jéjé, au matin du premier Noël de l’ère que l’on dit chrétienne.
Peut-être y avait-il, simplement, un jouet éducatif en coffret :
On peut voir l’original de cette sculpture d’Eugeniusz Get Stankiewicz (1942-2011) au musée de Wrocław — l’ancienne Breslau prussienne. C’est une copie qui orne, à la hauteur des fenêtres du premier étage, la façade d’une maison de la ville, près de la basilique Sainte Élisabeth. Cette réplique a été plusieurs fois vandalisée, mais les autorités n’ont pas, semble-t-il, estimé qu’elle portait atteinte à l’ordre public, et elle a été maintenue en place.
Peu au fait des dernières tendances en ce domaine, je ne puis vous dire si le Zrób to sam de Get Stankiewicz est antichrétien, sacrilège, blasphématoire ou christianophobe — comme on dit maintenant. Ceux que son œuvre chagrinent pourront toujours aller faire une veillée de prière dans les environs, la maison semble assez facile à trouver.
On dit qu’Eugeniusz Get Stankiewicz eut l’idée de cette mise en boîte d’un crucifix à monter soi-même après la visite d’un atelier de fabrication d’objets de piété — car cela se manufacture. Il aurait alors songé à certains jeux éducatifs renommés, genre le célèbre « petit chimiste ». Pourquoi pas ? En tout cas, la simplicité du dispositif montre bien que son œuvre n’a aucunement été influencée par des jouets plus élaborés comme ceux de la famille du non moins célèbre « Docteur Maboul ».
Passé l’effet de surprise amusée ou scandalisée — c’est vous qui voyez —, on peut se demander si cette œuvre ne heurterait pas, d’une certaine manière, un « droit fondamental », assavoir le « droit au respect des croyances », dont monsieur Thierry Massis, avocat au barreau de Paris, disserte avec toute sa science juridique dans un point de vue accepté par le journal Le Monde. Car, la sculpture d’Eugeniusz Get Stankiewicz « ne met pas en scène un fait anodin de la foi chrétienne, mais l’un de ses événements fondateurs : La passion de Jésus-Christ, mort sur la Croix pour le salut du Monde ».
(Je reprends ici la formulation, toute de révérentes majuscules composée, de Maître Thierry Massis à propos de Golgota Picnic de Rodrigo Garcia.)
Tout en se plaçant à une distance un peu plus agnostique, on admettra que l’un des éléments fondant la « foi chrétienne » est bien le mythe d’un dieu mis à mort par crucifixion et prenant sur lui tous les péchés du monde. On peut reconnaître à ce récit, composé sur quelques siècles, une certaine grandeur, et remarquer qu’il a su rencontrer, avec un certain succès, l’inextinguible « besoin de consolation » d’une partie de l’humanité, en le conjuguant artistement avec son indéracinable sentiment de culpabilité. Car le dieu supplicié qui s’est chargé de tous les péchés du monde s’est chargé de tous les péchés de chacun.
Dans ces conditions, comment un croyant sincère pourrait-il s’offusquer de ce Zrób to sam, Do it yourself ?
Il sait, s’il croit vraiment, que clouer son dieu en croix, il l’a déjà fait lui-même, et qu’il le refera…
En vérité, en vérité, je vous le dis, Zrób to sam respecte bien davantage les croyances des chrétiens que la plupart des bondieuseries que l’on vend sur les marches de leurs lieux de culte.
Amen et joyeux Noël quand même !
L’escalier qui bibliothèque, 24 décembre 2011.