[Nazarbaïev dégage !] État d’urgence, couvre-feu, Internet et téléphone coupés dans l’Ouest du Kazakhstan

État d’urgence dans l’ouest kazakh après une émeute matée dans le sang

Astana (Kazakhstan) — Le président du Kazakhstan a décrété samedi l’état d’urgence et instauré un couvre-feu à Janaozen, une ville de l’ouest de cette ancienne république soviétique d’Asie centrale où des émeutes ont fait la veille 11 morts selon les autorités, beaucoup plus selon l’opposition.

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Des policiers anti-émeute arrêtent un opposant lors d'une manifestation à Almaty le 17 décembre 2011.

Samedi soir, un site internet d’opposition, socdeistvie.info, a affirmé que des tirs en rafales étaient entendus dans la ville, ainsi que dans une localité des environs, Chepti, dont les habitants auraient « arrêté deux trains et commencé de brûler les wagons ».

Dans une video en ligne, présentée comme étant celle d’une conversation par téléphone avec un habitant, et entrecoupée de bruits de tirs, un homme s’exprime alternativement en russe et en kazakh.

« Les gens ont été forcés à rentrer chez eux. Il y a encore quelques foyers, les gars combattent encore un peu », dit-il.

Il n’était pas possible de vérifier cette information dans l’immédiat, les communications étant coupées avec Janaozen.

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Des forces de sécurité kazakhes en faction dans la ville de Janaozen, le 17 décembre 2011.

Dans un décret publié à l’issue d’une réunion du Conseil de sécurité kazakh, le président Noursoultan Nazarbaïev a ordonné d’instaurer l’état d’urgence dans la ville de Janaozen du 17 décembre 18H00 au 5 janvier 2012 07H00 (…) à la suite des troubles massifs à l’ordre public le 16 décembre.

Le même texte ordonne de faire respecter un couvre feu sur la même période de 23H00 à 07H00.

Le président Nazarbaev, qui dirige d’une main de fer depuis l’époque soviétique ce pays riche en ressources minérales et en hydrocarbures et considéré jusqu’à présent comme le plus stable de la région, a par ailleurs affirmé samedi, dans une déclaration, que la situation était sous contrôle.

Un porte-parole du Parquet général kazakh a cependant indiqué que la situation s’était également tendue dans une autre ville de l’ouest du pays, Aktaou.

Il y a eu hier (vendredi) certains troubles à Aktaou, des gens se sont rassemblés, mais après l’intervention du procureur et de la direction de la police de la ville, ils se sont dispersés, a dit ce porte-parole, Nourdaoulet Souindikov, cité par Interfax.

Dans un communiqué [voir ci-dessous], l’ONG de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch a affirmé de son côté qu’une centaine de personnes avaient été arrêtées dans cette ville puis libérées dans la nuit.

Le président Nazarbaïev a souligné dans sa déclaration qu’il ne tolèrerait aucun trouble dans le pays.

L’État empêchera dans toute la rigueur de la loi toute tentative de nuire à la tranquillité et à la sécurité de nos citoyens, a-t-il déclaré, affirmant que les coupables seront punis.

Vendredi, de violents heurts impliquant apparemment des milliers de grévistes du secteur pétrolier réclamant des hausses de salaires, et qui s’en étaient pris aux préparatifs de l’anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan sur la place centrale de Janaozen, ont provoqué la mort de 11 personnes après l’intervention des forces de l’ordre.

Plusieurs grèves ont eu lieu ces derniers mois dans cette région qui regorge de pétrole, située sur la rive orientale de la mer Caspienne.

Selon plusieurs médias d’opposition, des manifestants employés de la société pétrolière Ozemunaigaz s’en sont pris à la tribune montée à l’occasion des festivités, après quoi les forces de l’ordre ont chargé et ouvert le feu.

Le Parquet général kazakh a fait état samedi d’un dernier bilan officiel de 11 morts, 86 blessés dont 6 policiers, et 70 personnes interpellées.

Le représentant du Parquet, dans un communiqué, a affirmé que les troubles avaient été organisés par des voyous qui se cachaient derrière les grévistes.

Selon lui, les forces de police ont été contraintes de faire usage de leurs armes après avoir essuyé des coups de feu de la part de participants aux troubles.

Des informations diffusées par des ONG russes de défense des droits de l’Homme et l’opposition kazakhe, qui ne donnent pas de sources, font pour leur part état de plusieurs dizaines de morts.

Des témoignages diffusés par la chaîne de télévision indépendante kazakh K+, basée au Kirghizstan voisin, ont fait état d’une cinquantaine de morts et de l’emploi d’armes automatiques contre la foule.

Dans un communiqué samedi, le Parti national social-démocrate (opposition) a accusé les forces de l’ordre d’avoir utilisé leurs armes contre des manifestants non armés.

Human Rights Watch a mis en garde les autorités du Kazakhstan contre tout recours excessif à la force, dans un communiqué.

Sans moyen de communiquer avec le monde extérieur, la population de Janaozen est extrêmement vulnérable, a estimé l’ONG, alors que l’internet et la téléphonie mobile sont coupés dans la région depuis vendredi.

Leur presse (Agence Faut Payer, 17 décembre 2011)


Kazakhstan: Investigate Violence in Oil-Rich Western Region
Communications Shut Down after Clashes Near Long-Peaceful Labor Protest

(Moscow) — Kazakhstan’s law enforcement officers should strictly observe human rights norms as they restore order in Zhanaozen, a city in western Kazakhstan, Human Rights Watch said today. Multiple injuries and deaths were reported after a violent clash between civilians and police on December 16, 2011, at the site of a peaceful oil workers’ strike at OzenMunaiGas in the city’s main square.

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In this framegrab image from TV station K-Plus a Kazakh police officer fires a pistol to disperse demonstrators in the center of Zhanaozen, Kazakhstan on Friday, December 16, 2011.

(…)

On the morning of December 16, the striking oil workers gathered on Zhanaozen’s central square, the site of their ongoing strike, and the location of an official Independence Day celebration scheduled for later that day. The estimated 100 to 150 strikers were peaceful, as they had been every day for the past seven months, a local human rights group said.

The group, the Kazakhstan International Bureau for Human Rights and the Rule of Law, said that the festivities began around midday and that at that point, 20 to 30 young men in burgundy oil company jackets went to the stage constructed for the Independence Day event, and began destroying sound equipment. A video clip broadcast on various news programs shows the men in the red jackets destroying the equipment.

A statement from the Kazakhstan Prosecutor General’s office said that those involved “overturned the New Year’s tree, tore down yurts and the stage and set a police bus on fire.” One of the workers who was at the square told Human Rights Watch that, around midday, gunshots could be heard and fighting broke out with police.

Human Rights Watch has not been able to confirm independently how the clashes began or who participated in the violence. One worker in Zhanaozen said that police at one point fired tear gas at striking workers. Other workers later told Human Rights Watch that buildings had been set on fire, including the Mayor’s office, the OzenMunaiGas office building, and a hotel. Workers also said that the police had used lethal weapons against unarmed protesters and other civilians, reportedly killing four or five and wounding dozens.

The government has apparently shut down access to at least some mobile, voice, and text services in Zhanaozen. By late afternoon, Human Rights Watch could no longer reach workers by mobile phone, and access to Twitter.com and other news sites reporting on the unrest had been blocked by the authorities.

“Without a means to communicate with the outside world, people in Zhanaozen are extremely vulnerable,” Rittmann said.

The statement from the Prosecutor General’s office said that, “Mass disturbances due to criminal actions conducted took place during celebrations,” blaming the violence on a “group of hooligans.” The statement confirmed preliminary information that 10 people had been killed, and others wounded, including police officers.

(…)

The Prosecutor General’s office statement said that a criminal case has been opened with respect to the mass disturbances in Zhanaozen. Human Rights Watch called on the Kazakh authorities to ensure that the investigation into the violence, and in particular workers’ allegations that police fired and killed several people and wounded dozens, is carried out in a thorough and impartial manner and that those responsible for the violence are held accountable in line with international fair trial norms. Human Rights Watch also urged the authorities to restore telecommunications services and ensure that independent human rights groups can investigate the incident without hindrance.

In Aktau, about 120 kilometers west of Zhanaozen, several hundred oil workers held a rally to support the OzenMunaiGas workers. A person close to the situation in Aktau told Human Rights Watch that sometime between 7 and 8 p.m., police detained about 100 protesters and took them to a temporary detention center. By 1 a.m., nearly all had been released. Workers in Aktau reported heavy police surveillance at the protest, which was held in front of the regional mayor’s office.

“Authorities have long restricted the right to peaceful assembly in Kazakhstan and detaining peaceful protesters in Aktau is an example of their intolerance to peaceful dissent,” Rittmann said. “In a democratic society, the people should be able to protest peacefully without fear of detention or harassment.”

The strike began in May at OzenMunaiGas, which is a subsidiary of Kazakhstan’s state oil and gas company KazMunaiGas. Over a dozen workers began a hunger strike, calling on OzenMunaiGas to review a list of complaints that included the company’s revision of the workers’ collective agreement, introduction of wage coefficients in their salaries, and changes to the system of remuneration that had been adopted the previous year. Workers told Human Rights Watch that thousands of other workers had joined the strike.

Strikes and labor protests at two other companies in Kazakhstan’s oil and gas sector also began in May. Local courts declared the strikes at all three companies illegal, and workers, including workers at OzenMunaiGas, were fined or sentenced to short term detention for violating the law on organizing and holding peaceful gatherings (article 373 of the Administrative Code) or failing to fulfill judicial acts (article 524 of the Administrative Code). On July 8, riot police dispersed striking OzenMunaiGas oil workers from one of OzenMunaiGas’ production units where they had begun their strike and, in the middle of the following night, rounded up workers who remained on a hunger strike, using force. The dispersed oil workers regrouped at Zhanaozen’s central square, where they have been striking daily ever since.

Authorities brought more serious criminal charges against the perceived leaders. On August 17, Akzhanat Aminov, one of the OzenMunaiGas workers, was givena two-year suspended prison sentence on grounds that he had led the strike by giving orders to workers over the phone. The verdict said that Aminov explained that “he gave advice to the workers by phone, but he could not imagine that this constituted organizing [the strike], he thought that he was just helping the workers restore their violated rights.”

On August 8, in Aktau a union lawyer Natalia Sokolova had been sentenced to six years in prison for speaking to oil workers from KarazhanBasMunai, another oil company in western Kazakhstan, on issues of wage disparity on charges of inciting social discord.

OzenMunaiGas has fired hundreds of employees — 989, media reports say — for participating in the strike. In an August 26 statement posted to its website, OzenMunaiGas’ parent company, KazMunaiGas, stated, “Given that the main objective of the Company is to ensure the normal production process… KMG EP had to continue firing those participants in the illegal strike who refused to perform their duties.”

Communiqué Human Rights Watch, 17 décembre 2011


Le Kazakhstan, ami du CAC 40

Les sociétés françaises peuvent se réjouir du passage en France du président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, qui était à l’Élysée ce 19 septembre 2011. Des contrats juteux ont été signés à l’occasion de cette visite. En moins d’un an, c’est la seconde fois que Nicolas Sarkozy et Noursoultan Nazarbaïev se rencontrent.

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Palais de l'Élysée, le 19 septembre 2011. Noursoultan Nazarbaïev, président du Kazakhstan

La visite du président Noursoultan Nazarbaïev à Paris a porté ses fruits et les grands groupes français comme Alstom, Areva ou Total, se réjouissent des contrats qu’ils viennent de signer. À 71 ans, le chef de l’État kazakh, réélu en avril 2011, avec 95,5 % des suffrages, est très actif dans la recherche des partenariats économiques.

Le Kazakhstan, terre promise ?

Les investisseurs se rapprochent de plus en plus de cette République d’Asie centrale. Depuis la fin de l’Union des Républiques socialistes et soviétiques (fin 1991), les ressources du Kazakhstan suscitent les convoitises en Occident.  Pour l’économiste Anna Dobrec, le Kazakhstan joue un rôle économique crucial en Asie centrale.

« Le Kazakhstan est un pays riche en ressources naturelles. Il détient 3% des réserves mondiales de pétrole et 1% des ressources de gaz. En 2009, le Kazakhstan était le premier producteur d’uranium. Ce pays se trouve entre deux géants émergents, la Chine et la Russie. Cela représente des opportunités évidentes pour les hommes d’affaires européens. »

À l’occasion de la visite éclair du président Nazarbaïev à Paris, les partenariats stratégiques entre les entreprises françaises et kazakhes se sont renforcés. Prochainement, une ligne aérienne doit relier Paris et Astana. Ce projet symbolise le lien nouveau entre les deux pays. La France compte étendre ses exploitations d’hydrocarbures au Kazakhstan. Le groupe Total espère démarrer rapidement la production de pétrole du gisement de Kashagan, dans le cadre d’un projet Nord-Caspien. Et l’uranium est évidemment au cœur des discussions. Les entreprises Kazatomprom et Areva ont prévu d’étendre leur partenariat.

La demande de coopération économique n’émane pas seulement de la France. Le Kazakhstan cherche aussi des investissements colossaux pour exploiter ses ressources. Malgré une croissance économique soutenue, le pays reste toujours marqué par l’ère soviétique. Ses industries ont besoin d’être rééquipées et les infrastructures sont à développer. Ce pays aux portes de l’Europe se tourne de plus en plus vers l’ouest. Un accord de partenariat et de coopération entre l’Union européenne et le Kazakhstan est d’ailleurs en cours de négociations.

Une zone tampon entre l’Orient et l’Occident

Le Kazakhstan s’étend entre la Chine et la Russie. Il constitue une porte entre l’Orient et l’Occident dont l’Union européenne ne peut plus se priver. Le Kazakhstan a négocié pendant des années pour présider l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). En décembre 2010, c’était chose faite. Noursoultan Nazarbaïev ouvrait le sommet de l’Organisation, le premier depuis 11 ans, consacrant l’importance stratégique de la nouvelle République.

Lundi soir, lors de la rencontre à l’Élysée — la dernière remonte à octobre 2010 —, Nicolas Sarkozy n’a pas oublié de saluer l’action du Kazakhstan à la tête de l’OSCE en 2010. Le président français n’avait pas pu se rendre au dernier sommet organisé à Astana, l’an dernier, ce qui avait froissé le président Nazarbaïev. Nicolas Sarkozy a donc rattrapé son retard diplomatique envers le Kazakhstan. Et ce rapprochement passe par l’économie.

La France a besoin de l’amitié kazakhe

La France est un des partenaires importants du Kazakhstan, après la Russie et la Chine. Une commission intergouvernementale franco-kazakhstanaise a même été créée en octobre 2010. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette relation entre la France et le Kazakhstan n’est pas exclusive en Europe.

L’historienne, spécialiste de l’Asie centrale, Catherine Poujol, souligne qu’Astana ne tient pas rigueur à Paris de l’avoir négligé pendant longtemps. L’essentiel pour le président Nazarbaïev est de développer des relations multivectorielles en France notamment : « comme le président kazakh est venu en France, on a l’impression qu’il se passionne pour la France. Mais en réalité, il cherche à avoir des relations fortes et fructueuses avec le plus de partenaires possibles. Il n’y a pas d’exception française dans la politique kazakh. Par contre, ce qui est plutôt rassurant, c’est que le Kazakhstan cherche à équilibrer ses relations et ne pas laisser de côté le partenaire français, qui a pourtant mis pas mal de temps avant de venir jusqu’à lui. »

Un hyperprésident sur internet

Si les entreprises françaises sont maintenant décidées à s’implanter au Kazakhstan, c’est aussi parce que le pays — souvent critiqué pour ses atteintes aux droits de l’homme — est en pleine transition politique.

Par rapport à ses voisins, il fait figure de régime autoritaire plus ouvert. À l’heure d’internet, le droit d’expression se développe peu à peu. « Ce pays et comme tous les autres dans le même cas, est irrigué par les réseaux sociaux, par internet, par Twitter. En une seule génération, voire deux, on va prendre l’habitude d’un pluralisme d’idées. D’où leur volonté de vouloir souvent couper les antennes. Le pouvoir n’y peut pratiquement rien si ce n’est de se former à ce genre d’innovations », rappelle Catherine Poujol.

D’un côté, le gouvernement censure internet ; de l’autre il ne peut s’en passer puisque lui aussi s’en sert pour communiquer. Le président Noursoultan Nazarbaïev — un ancien apparatchik de l’ère soviétique — utilise désormais, comme les présidents occidentaux, les réseaux sociaux pour communiquer avec ses électeurs.

Leur presse (Daphné Gastaldi, RFI, 20 septembre 2011)

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