Les dernières (pas ultimes) nouvelles d’Égypte
4 décembre
Les résultats des élections de la première phase ont été publiées, en voici un bref résumé.
Nombre d’électeurs : 8,5 millions sur 14 millions avec un taux de participation de 62%.
Le résultat des listes :
40% pour le parti de la liberté et de la justice des frères musulmans
25% pour le Nour, salafiste
15% pour les libéraux de Kotla
11% pour le Wafd, libéral [Le Wafd : plus vieux parti d’Égypte : droite ultra conservatrice libérale et néanmoins laïque]
Un deuxième tour aura lieu demain pour élire 52 candidats indépendants sur 104.
Dans 25% des circonscriptions des libéraux de la Kotla font face aux islamistes.
Dans les 75% restants des islamistes se disputent entre eux.
Le parti de Tahalof Echteraki, a obtenu deux sièges, deux de ses candidats seront en campagne demain.
Les élections ont été entachées par de nombreuses irrégularités : poursuite de la campagne des islamistes au sein même des bureaux de vote, orientation des électeurs illettrés, achat des voix, fraude au cours des tris, des centaines de bulletins de vote ont été trouvés jetés à côté des poubelles et près d’un million de voix annulées sans aucune justification.
75 plaintes ont été déposées contre des votes frauduleux en particulier au nord du Grand Caire.
Par ailleurs, le premier ministre nommé par l’armée peine à former son gouvernement et contrairement à ce qui fut annoncé il n’a aucune marge de manœuvre, c’est l’armée qui décide de tout ; il a déjà conservé plus de la moitié des ministres de l’ancien gouvernement.
Les occupants de Tahrir ont suspendu leur occupation mais de la place, ce soir il y avait encore quelques tentes et des petites groupes, mais continuent à occuper l’espace autour du conseil des ministres. Vendredi 2 [décembre], une manifestation moyenne a été organisée sur la place en hommage aux martyrs, parallèlement à d’autres rassemblements organisés par le SCFM au Caire et dans d’autres villes de l’Égypte pour soutenir le Askari [Askari : Junte militaire].
Le mardi 6 décembre, à 20 heures, j’ai traversé Tahrir.
Tahrir est toujours fermé à la circulation, il y a encore des tentes, des barbelés ferment l’accès de la rue Kasr El Aini, le mur de la honte bloque l’accès de la rue Mohammad Mahmoud, péril pour Tlaat Harb, Champollion et Kasr El Nil. Bref, la place est fermée à la circulation. Les révolutionnaires occupent toujours la rue de Magles El Chaab devant le Conseil des ministres.
La place est quasiment vide, quelques groupes épars discutent, mais de loin me parvenaient slogans scandés à l’unisson, une petite manifestation réunissant quelques centaines de manifestants avait quitté Tahrir et s’engageait dans la rue Talaat Harb en direction du centre-ville, condamnant le SCFA, avec des Tantawi dégage, et réclamant le droit des martyrs… etc. C’était un spectacle pathétique et héroïque à la fois, ça m’a rappelé les signes avant coureurs de la révolution du 25 janvier…
J’ai quitté la place et je suis rentrée à pied. Sur mon chemin, je me suis arrêtée pour lire les titres de la presse, les islamistes ont remporté 82% des sièges au second tour. J’ai poursuivi mon chemin avec des boules, incrédule, furieuse, désespérée, parlant à moi-même comme une folle. Arrivée à la rue piétonne de Saray al Azbakéya, et pressant mon pas pour rentrer, un motocycliste a failli me renverser, c’est là que j’ai sorti toute ma colère contenue, l’ai traité de Baltagui [Baltagui/baltaguia (pluriel) : terme employé pour désigner les nervis de l’État, ces derniers temps se déplacent souvent à moto, type voltigeurs pour agresser les gens], il s’est arrêté, mais voyant que toute la rue était de mon côté il s’est barré.
J’ai pensé en rentrant, les Égyptiens ont fondé une des plus grandes civilisations de l’humanité, puis sont sortis de l’histoire. Au XXIe siècle ils ont fait une des plus belles révolutions, dix mois plus tard, on leur a volé leur révolution… Seulement ce petit groupe qui contre vents et marées faisait le tour du centre-ville, dans l’isolement le plus total, me donne quelque espérance, cette fois-ci on ne sortira du troisième millénaire ; ils vont écrire une nouvelle histoire.
Mailing, 13 décembre 2011.