Privé de parole, Jean-Marc Rouillan continue néanmoins d’écrire. L’ex-membre fondateur du groupe Action Directe condamné en 1989 à la réclusion à perpétuité assortie d’une période de sureté de dix-huit ans pour les assassinats du PDG de Renault Georges Besse et du Général Audran, aura finalement passé plus de 23 ans en prison.
En effet, après avoir bénéficié d’un régime de semi-liberté le 17 décembre 2007, Jean-Marc Rouillan était à nouveau incarcéré le 2 octobre 2008 pour des propos tenus lors d’une interview au journal L’Express. La libération conditionnelle dont il bénéficie depuis le 19 mai 2011 est assortie de règles encore plus strictes que la précédente. Outre l’obligation de ne pas s’exprimer sur les faits pour lesquels il a été condamné en 1989, il lui est formellement interdit de s’exprimer en public et de parler aux journalistes.
Dans ces conditions, vient de sortir le dernier tome de la trilogie De Mémoire publié aux éditions Agone. Le précédent volume nous avait laissé en septembre 1973, le jour où le militant anarchiste Salvador Puig Antich était arrêté à Barcelone au cours d’une fusillade avec la police de Franco.
La courte saison des Gari (Groupe d’actions révolutionnaires internationaliste) revient sur l’année 1974. L’objectif de la bande de copains est d’obtenir la libération des anti-franquistes condamnés à mort en Espagne. Braquages, attentats, enlèvement : les actions de « propagande armée » en France et Belgique se multiplient contre « tout ce qui touche de près ou de loin à l’Espagne Franquiste ».
La mémoire vive de l’écrivain Jean Marc Rouillan n’a rien oublié de cette histoire. Son récit raconte de l’intérieur la trajectoire de Pierre, alias « Tonton », Michel « Rata Pinhade », Christian « le Loulou », Aurore, Mario, Cricri. Le choix de la lutte armée n’empêche pas les délires sous influence du Velvet Underground et des bd des Freaks Brothers.
Les actions des Gari ne firent aucun mort, sinon quelques blessés. Elles n’empêchèrent pas non plus l’exécution de Salvador Puig Antich, garrotté le 2 mars 1974 dans la prison de la Modelo à Barcelone. Face à l’impressionnante vague d’attentats, le gouvernement de Franco annonça cependant le rétablissement de la loi sur la libération des prisonniers politiques arrivés aux trois quarts de leur peine.
Arrêtés et incarcérés à la Prison de la Santé à Paris, les membres du groupe obtinrent le statut de prisonniers politique. Ils seront libérés après la mort de Franco.
Libé Toulouse a rencontré Michel, l’un des membres des Gari. « Notre engagement dans la lutte armée n’avait rien de mortifère », raconte-t-il. Entretien.
LibéToulouse : Pourquoi avez-vous choisi la lutte armée ?
Michel : 37 ans après, faut-il rappeler qu’en 1974 l’Espagne de Franco vivait sous une dictature militaire ? Pour moi, il s’agissait plus de propagande armée. L’objectif de nos actions (attentats, enlèvements, braquages) n’était pas de faire des victimes, mais d’attirer l’attention sur la situation des prisonniers politiques condamnés à mort en Espagne par le régime de Franco. Nous savions que le cadre légal ne les empêcherait pas. À ce moment-là, l’urgence des condamnations à mort de camarades emprisonnés en Espagne, l’imposait.
La lutte armée est un moyen d’arriver à un résultat. Ce n’est pas un but. Les armes et les explosifs étaient les outils. Nous n’avons jamais phantasmé là-dessus.
La forte mobilisation partout en Europe n’avait pas empêché l’exécution de Salvador Puig-Antich militant du Mouvement Ibérique de libération (MIL) exécuté le 2 mars 1974. En janvier 1974, quatre membres d’un groupe qui préparait des attentats contre des avions au sol et sans passagers de la compagnie espagnole Iberia étaient arrêtés à Paris. Cette opération aurait-elle pu empêcher l’exécution de Salvador ? Je n’en sais rien. En tout cas après cet échec et l’exécution de Puig Antich il était évident d’intensifier nos actions.
Que répondez-vous à ceux qui considéraient que votre engagement était mortifère ?
À eux, rien du tout ! Les GARI n’ont tué personne. Ils se sont battu contre un régime qui, lui, était mortifère. Nous ne sommes pas entrés en religion pour devenir des moines soldats. Beaucoup d’entre nous avaient à peine plus de 20 ans. Notre lutte était faite de partage d’amitiés et de rire. Il y avait des moments de tension. Mais il y avait aussi des moments de rigolade. Comme la vie, c’était une aventure de tous les instants. Il ne s’agit pas seulement de ceux qui un jour ont fait le choix des armes. Les grandes grèves, les manifestations servent aussi à se réapproprier sa propre vie. Je me méfie tout autant de ceux qui idéalisent la lutte armée. Il y avait dans notre entourage de l’époque des gens qui en parlaient beaucoup plus qu’ils n’y participaient.
« La courte saison des Gari » s’est déroulée pendant l’année 1974. En quoi cette époque a-t-elle influencé votre engagement politique?
Toulouse en 1970 est une grande métropole et ce qu’on y vivait ressemblait à ce qui se passait ailleurs. Il y avait de nombreuses luttes sociales, des grèves lycéennes, une grande richesse militante. L’ensemble de la société était plus politisé qu’aujourd’hui. La consommation à outrance n’avait pas encore lessivé les esprits. Nous n’avions pas des centaines « d’amis » sur Facebook mais de nombreux copains que l’on côtoyait dans les manifs et les concerts.
Beaucoup de choses se passaient sur le mode de l’anti-conformisme et de la rigolade. Je ne sais pas si nous étions raisonnables mais nous étions vivants. Nous étions les enfants d’une époque qui n’était ni triste ni morose. Nous avions aussi en tête les récits de nos ainés résistants. C’était aussi le moment de la guerre du Vietnam. Aux États-Unis, c’était aussi l’époque des luttes des Black Phanters et des Weathermen. L’épopée cubaine était encore toute proche.
La particularité de Toulouse était aussi d’être la deuxième capitale de l’Espagne. Celle des exilés opposés au régime de Franco. On baignait là-dedans. Alors, pour beaucoup d’entre nous l’engagement était une évidence.
Paradoxalement, certains exilés républicains espagnols étaient opposés à vos actions…
Je me souviens surtout du large soutien et des témoignages de sympathie. Mais plus tard, après la mort de Franco et notre sortie de prison, pendant la période dite de « transition » en Espagne, au nom de la négociation en cours, certains parmi les exilés espagnols, ont estimé que ce n’était plus le moment de recourir à la violence. Pour ces derniers, nous sommes peut-être devenus gênants. Nous dérangions leur confort d’opposants institutionnalisés.
Pour la police et l’État vous étiez des terroristes…
Pour la police, nous étions d’abord un gibier qu’il fallait arrêter très vite. L’État nous présentait comme des terroristes professionnels. Les autorités avaient tout intérêt à dire cela. Il faut bien que le pouvoir désigne la révolte de façon négative. Aujourd’hui, la régression est telle que l’on entend même parler de prises d’otages lors de certaines grèves.
Le mot terrorisme évoque bien évidement des attentats sanglants. Pour ma part je n’ai pas le sentiment d’avoir été un terroriste. Nous prenions beaucoup de précautions et de risques pour nous mêmes dans la préparation et les repérages pour éviter qu’il y ait des victimes. Il y a pourtant eu des blessés. Cela ne nous a pas réjouis, mais nous savions que cela pouvait arriver.
Que pensez-vous du silence imposé à Jean-Marc Rouillan ?
C’est la double peine. Je ne comprends pas ce que feint de craindre la justice à son égard. Que Jean-Marc Rouillan libre de parler monte sur une barricade pour appeler à la révolution ? Que le peuple sensible à son charisme et à son charme naturel prenne les armes et plante les têtes de banquiers au bout de piques ? Jean Marc Rouillan a purgé sa peine. C’est aujourd’hui un écrivain ; les magistrats et l’État le savent bien. Ils lui font payer son refus de passer au confessionnal. Pas de repentance : pas de pardon.
Aujourd’hui quelles sont les luttes qui vous paraissent justes ?
Celles qui résistent et combattent face à un système économique et politique basé sur le déni de la vie. Le pouvoir explique au prolétariat pressé comme un citron que c’est inévitable, que c’est la faute à la crise et à l’indispensable compétitivité. Ce discours semble de moins en moins convaincant. Le mouvement des Indignés partout dans le monde en est un signe. L’indignation est peut être le prélude à la conscience…
Quid de la transmission de votre expérience militante ?
Je me méfie de la supposée transmission d’une expérience militante aux générations suivantes. Les vieux exilés espagnols ne sont pas venus nous tirer par la manche pour poursuivre leur combat. Nous sommes allés les chercher et nous nous sommes forgés notre propre expérience. Nous avons voulu mettre un grain de sable dans le système, c’était déjà pas mal. Pour ma part je ne regrette rien.
Propos recueillis par Jean-Manuel Escarnot
Leur presse (LibéToulouse), 30 novembre 2011.
De mémoire (3) « La courte saision des Gari » : Toulouse 1974, Jann-Marc Rouillan, Éd Agone, 345 p.