Chine : le début d’une explosion sociale ?
Ce ne sont que quelques grèves, mais elles se multiplient depuis plusieurs semaines. Le plus inquiétant pour le pouvoir mais aussi l’économie chinoise, c’est que la plupart de ces débrayages ont lieu dans la province du Guangdong, le poumon économique de la Chine, considéré comme l’atelier du monde. Les salariés protestent contre les licenciements et les baisses de salaires, autant de symptômes des premiers signes d’un essoufflement de l’économie chinoise.
Véritable poumon économique de la Chine, la province du Guangdong gronde. Située dans le delta de la rivière des perles, dans le sud de la Chine, la région contribue pour 12% de la richesse nationale (l’équivalent du PIB de la Turquie) et possède trois zones économiques spéciales. À ce titre, on la qualifie souvent « d’atelier du monde ». Pourtant depuis plusieurs semaines, l’atelier tourne au ralenti.
Les manifestations ouvrières se sont multipliées. Plus de 7000 salariés d’une fabrique de chaussures Adidas, Nike et New Balance ont fait grève contre des licenciements et des réductions de salaires avant de s’accrocher violemment avec les forces de l’ordre. Avec un salaire de base de 175 dollars par mois, ces salariés pouvaient espérer doubler leur salaire en multipliant les heures supplémentaires.
C’est bien là l’un des nœuds du problème social chinois. Le plus souvent, le salaire de base des ouvriers ne suffit plus, de très loin à subvenir à leurs besoins. D’où une obligation de travailler parfois jusqu’à 75 heures par semaine.
Des ouvriers, des paysans, mais aussi des cadres
À Shenzhen, 1000 ouvriers d’une usine d’électroniques ont débrayé le 23 novembre protestant contre la décision des dirigeants de l’usine d’obliger les travailleurs de nuit à faire des heures supplémentaires.
Selon le China Labor Watch, les ouvriers dénoncaient également une hausse importante des accidents de travail et les licenciements massifs des travailleurs les plus âgés.
Le South China Morning Post rapporte que la police antiémeute chinoise est encore intervenue en fin de semaine dernière dans une ville du Guangdong pour disperser plusieurs milliers de vendeurs de jade qui protestaient violemment contre une flambée de leurs loyers. Des agriculteurs ont également manifesté contre la saisie de leurs terres.
Les débrayages n’en finissent plus et la fièvre sociale s’étend. Au-delà du seul monde ouvrier. Les salariés d’une usine de Yucheng, près de Huangjiang, se sont mis en grève après le licenciement le mois dernier de 18 de leurs cadres, interprété par les ouvriers comme un signe de prochaine délocalisation. L’un des cadres licenciés a déclaré au China Business News, journal basé à New-York, que son départ faisait partie d’un projet de déménagement de la production dans la province de Jiangxi afin de réduire les coûts qui sont plus élevés dans la vaste province du Guangdong.
Des mouvements sociaux de plus en plus efficaces
Hausse des loyers, réduction des salaires, mauvaises conditions de travail, heures supplémentaires non payées, peur de délocalisations intérieures, saisie des terres. Autant de symptômes d’une Chine à bout de souffle ?
Les craintes concernant l’économie chinoise ont progressé après la diffusion par la banque HSBC d’un indice de production industrielle en fort recul en novembre, tombé à son niveau le plus bas depuis mars 2009. La semaine précédente, le gouverneur de la province du Guangdong avait déclaré que les exportations de la province avait baissé de 9% en octobre. Et les mauvaises nouvelles ne cessent de tomber, d’après le site aujourd’huilachine « les statistiques de la fédération des industries de Hongkong prévoient qu’un tiers des 50’000 usines chinoises appartenant à des industriels de l’ancienne colonie britannique pourrait fermer et licencier en masse d’ici janvier ».
S’il n’existe pas de statistiques concernant les usines chinoises, d’après le China Labour Bulletin, une ONG de défense des droits des travailleurs basée à Hong-Kong, les salariés touchés sont, le plus souvent, des Chinois venus de l’intérieur du pays et qui ont quitté leur région natale pour trouver du travail. Ces ouvriers migrants, les « mingong » sont la face cachée de la croissance chinoise. Victimes des inégalités quand la Chine affiche des taux de croissance à deux chiffres, ils pâtissent en premier de l’essoufflement économique chinois.
Dans un rapport publié en novembre, l’organisation constate constate que le mouvement ouvrier s’est développé rapidement « par un sentiment croissant que les travailleurs étaient exclus du partage des bénéfices que faisaient leurs entreprises mais également du développement de la société toute entière. Une nouvelle génération de travailleurs migrants a émergé comme l’une des principales forces dans le mouvement ouvrier en Chine. Ceux qui sont nés dans les années 1980 et 90 sont généralement mieux éduqués et plus “armés” que leurs parents pour revendiquer leurs ambitions. Ils ressentent également plus de pression et l’intense frustration d’essayer de s’établir en ville tout en étant classés et méprisés car résidants milieu rural. Employés principalement dans les entreprises modernes, ils constituent aujourd’hui le cœur de la nouvelle classe ouvrière chinoise. »
Magazine spécialisé dans le marché chinois, destiné aux investisseurs étrangers, China Briefing a lu attentivement l’étude de l’ONG, incitant les entreprises qui souhaitent s’implanter en Chine à prendre en compte les évolutions de rapports de force dans le monde du travail chinois : « des concessions seront désormais obligatoires en Chine, l’amélioration des conditions de travail, de communication avec les salariés devront être prises en compte, de même que des réponses efficaces devront êre apportées lors de troubles sociaux sur les lieux de travail afin que les pertes puissent être réduites au minimum ».
En conclusion de son rapport, le China Labour Bulletin estime que les manifestations récentes ont souvent eu pour conséquence « des augmentations salariales substantielles et l’amélioration des conditions de travail, ou à pousser les employeurs à la négociation, certains parvenant à suspendre des processus de privatisations d’usines ». Et de conclure que « le mouvement ouvrier est désormais un facteur clé de justice sociale et économique ». Trente cinq ans après la mort de Mao — qui, en son temps, n’a eu de cesse que d’écraser les grèves ouvrières… — le mouvement ouvrier chinois se remet en marche. Jusqu’où ?
Leur presse (Régis Soubrouillard, Marianne, 30 novembre 2011)