Preuves techniques – À propos des émeutes du 15 octobre à Rome
Samedi 15 octobre devait être la journée mondiale de l’indignation.
Partout dans le monde étaient prévues une centaine de manifestations pour protester contre un système social qui ne semble même plus en mesure de garantir la survie en échange de l’obéissance. Pour cela, à Rome, s’étaient donnés rendez-vous tous les orphelins pleurnichards d’une Démocratie trahie, d’une Constitution piétinée, d’un Droit nié.
Voulant initialement marcher sur les palais du Pouvoir pour les assiéger, ils ont finalement capitulé devant le chantage policier, et accepté de se diriger vers la périphérie pour s’auto-représenter.
Mais cette manifestation née dans la tristesse ne s’est pas déroulée comme ses organisateurs le souhaitaient. Le long du parcours, ce qui symbolise le privilège de la richesse et l’arrogance de l’autorité a attiré la rage de tous ceux fatigués de marcher et de moisir, qui se sont organisés pour passer de la parole aux faits. En mille morceaux les vitres des banques et des agences d’intérim, en flammes l’édifice qui abrite le tribunal militaire du Ministère de la Défense. L’air s’est réchauffé à tel point que, à l’endroit du meeting rituel de fin après la promenade tranquille, sur la place San Giovanni, de violents affrontements contre les forces de l’ordre ont eu lieu, auxquels ont pris part plusieurs milliers de manifestants. Des gens du commun, et pas seulement des têtes brûlées rassemblées, préparées, déterminées à l’affrontement, mais des femmes et des hommes qui se sont battus avec tout ce qu’ils ont trouvé à portée de main, parfois à visage découvert, contre une flicaille furieuse.
Ces désordres étaient attendus de tous, annoncés depuis des semaines, promis par plusieurs, souhaités par beaucoup de monde. Comme c’était évident, ils ont éclaté. Ils font seulement rire les sinistres admirateurs des émeutes des autres, des révoltes ailleurs, agiles à s’incliner devant la Magna Grecia en flammes, ou alors à citer un ex-président de la Chambre à la retraite pour qui l’heure de la révolte a enfin sonné (? !) ; qui déplorent aujourd’hui ce qui est arrivé dans leur misérable petite Italie. Ces pauvres d’esprit et de passion n’arrivent pas à réaliser que face à un monde en décomposition, où l’État et le Marché se livrent compétition pour savoir qui massacrera le plus de vies humaines, il puisse se trouver des personnes qui n’entendent pas se limiter à une platonique expression de désaccord. Privés de la scène politique qu’ils avaient réservée, ils ont réagi comme à leur habitude. Comme dix ans auparavant à Gênes, les forces politiques qui visaient à se faire constituants (interlocuteurs d’un État qu’ils voudraient rénover) se sont distinguées par leurs méthodes tellement policières que même leurs militants les ont désavoués. Et pour le futur ils annoncent déjà le retour des Katangais (qui se souvient des années 70, quand ils sévissaient, à la Statale de Milan, faisant la chasse aux incontrôlables non-alignés), des robustes services d’ordre aptes à interdire quiconque de sortir de parcours préétablis et imposés. Ne voulant pas les utiliser contre les tenants de l’ordre infâme, ils utiliseront leurs bâtons (ou leurs casques ?) contre ceux qui veulent mettre cet ordre sens dessus dessous. Sans aucun doute, c’est choisir son camp.
Deux jours après est lancée la chasse à l’anarchiste, au « black bloc », à l’homme-vêtu-de-noir. Police et carabiniers ont effectué une centaine de perquisitions dans toute l’Italie, dans les milieux anarchistes mais pas seulement, à la recherche de vêtements sombres et de masques à gaz (ce qu’ils appellent « le kit du guérillero »). Le ministre Maroni, avec l’approbation du champion de la sinistre opposition justicialiste — Di Pietro — a annoncé des nouvelles lois spéciales qui réduiront considérablement la possibilité de manifester. Tandis que le net est envahi d’images mises à disposition des enquêteurs de la part d’« honnêtes » citoyens, afin d’identifier les « violents ». C’est de la délation de masse, la délation d’une masse tellement critique qu’elle pense que la transformation sociale radicale tant invoquée viendra par illumination, ou comme le résultat d’une pétition, d’un campement, d’une consultation électorale, d’une décision en assemblée, d’un juste accord politique.
Autant de preuves techniques, d’agitation et de prévention. Mais des preuves dont les résultats produisent et produiront des effets à prendre en considération, sans se prélasser dans une satisfaction béate. Quelles possibilités offrent les manifestations océaniques, où au contrôle de la vidéo-surveillance s’ajoute la présence des citoyens-flics ? Peuvent-elles être accompagnées, précédées, ou suivies par quelque chose d’autre qui prépare, renforce et prolonge l’effervescence ? Ou alors vaut-il mieux les éviter pour se dédier à d’autres pratiques ? Et lesquelles, où, quand ? Comment est-il possible de chercher à faire cohabiter ce qui est inconciliable ; les intentions subversives de ceux voulant mettre fin à ce monde, avec les préoccupations réformistes de ceux qui veulent le guérir ? Quel sens y a-t-il à jouer, dans un rapport instrumental réciproque, avec quelqu’un pouvant devenir un délateur à n’importe quel moment ?
Ce ne sont pas des questions réclamant une réponse définitive — impossible ! — mais seulement des interrogations qui ne peuvent être renvoyées, qui cherchent et qui nécessitent un débat.
Texte traduit de l’italien (Finimondo) – Base de données anarchistes, 20 octobre 2011.