En décembre 2010 les travailleurs de l’entreprises de conserves alimentaires « La Gaviota » ont organisé une grève de 21 jours. Il ne s’agissait pas seulement d’exprimer des revendications sur le travail mais aussi d’exiger des informations sur la comptabilité et de protester contre la chute et les « problèmes fréquents » dans la distribution.
« Dans la mesure où les travailleurs et les communautés accèdent vraiment à l’information sur le processus productif sans aucune limitation et participe pleinement aux décisions qui la concernent, alors l’efficacité s’améliorera, la bureaucratie, la corruption diminueront, la distribution sera mieux ciblée, avec une qualité et des prix justes. Elle rencontrera les besoins du collectif et non de petits groupes de pouvoir. » C’est ce qu’explique José García, dirigeant du syndicat d’UNETE (Union Nationale des Travailleurs) de cette industrie.
Les « Conservas Alimenticias La Gaviota » est une entreprise qui emballe et distribue des sardines, des mollusques, et du thon, elle constitue une des rares sources de revenus du secteur Valentin Valiente, Cumaná, état de Sucre.
À la suite de son occupation par les travailleurs, elle a été nationalisée par le gouvernement révolutionnaire. Dès ses premiers pas comme entreprise publique, les travailleurs ont participé directement à la relance de la production. Depuis, malgré ses hauts et ses bas, ce processus de contrôle ouvrier, ne s’est pas arrêté.
C’est ce que nous raconte le syndicaliste García qui, au vu du chemin parcouru, exige plus d’avancées. Il considère que l’actuelle direction, malgré des progrès, prend encore des décisions sans consulter les travailleurs. « Le contrôle ouvrier est l’usage d’informations pour pouvoir intervenir dans les décisions. Sans cela, ce n’est pas un contrôle ouvrier » nous dit-il, tout en reconnaissant l’appui du gouvernement : « Le ministre Juan Carlos Loyo a dit, et nous le savons, que le gouvernement veut continuer à changer le modèle. »
Histoire d’une lutte des travailleurs — En janvier 2009, les travailleurs avaient organisé une grève de 75 jours pour obtenir de meilleures conditions de travail. Les patrons privés leur imposaient des cycles de deux à trois jours de travail par semaine pour éviter de leur payer des droits sociaux ou des vacances. « Nous avons enquêté et nous nous sommes rendus compte que le produit était exporté au Brésil, car comme elle est vendue au Venezuela à trois bolivars, ils préféraient la vendre à l’étranger, à un prix de 17 bolivars. »
Il raconte comment le patron diminuait les tours de travail parce qu’il ne souhaitait pas augmenter la production. « Ils gagnaient quatre fois plus à l’extérieur, payaient le moins de temps de travail possible. Nous avons commencé la lutte non seulement pour nos revendications salariales ou sur les conditions de travail mais aussi pour un travail permanent. »
En mai 2009, le gouvernement bolivarien a fait occuper temporairement l’usine pour éviter sa fermeture par les patrons. Cet acte fut notamment l’œuvre du ministre du Commerce Eduardo Samán qui annonça que l’entreprise passerait sous contrôle ouvrier et qui expliqua dans divers médias que dans la première étape on « avait réussi à briser la division entre le travail manuel et l’administration de l’entreprise ».
Pendant cette période fut nommé un conseil de travailleurs pour gérer l’entreprise avec le conseil des fonctionnaires du Ministère du Commerce. Les premières conquêtes furent le paiement de tickets d’alimentation, la restructuration du temps de travail, le paiement de droits acquis aux travailleurs et l’inscription générale à la sécurité sociale. [Voir la vidéo sous-titre en français.]
Le 19 mai, deux semaines après l’intervention gouvernementale, l’usine produisait déjà à 50% de sa capacité. Les excédents étaient minimes mais elle n’enregistra aucune perte. « Effectivement il fut démontré que nous pouvions payer des salaires, l’entretien et tout le reste, grâce à la vente des produits » explique García.
« Notre objectif était de produire à 100% de capacité pour atteindre l’indépendance financière mais nous ne l’avons pas encore atteint. »
En mars 2010 l’entreprise passe sous le contrôle d’Indepabis (Institut de Défense des Droits des Consommateurs) et par la suite, de la Corporation Vénézuélienne d’Aliments (CVAL), organisme qui nomme une équipe de gérants pour substituer la vieille structure où le conseil des travailleurs était l’organe de décision.
« À partir de cette date a commencé à baisser la production et les actions syndicales ont repris parce que les gérants ne donnaient pas d’information sur la situation financière. Après de nombreuses luttes, nous avons obtenu le contrôle des secteurs de vente et de production mais la direction s’est réservée ceux des achats et de la comptabilité. »
Le représentant syndical raconte que les travailleurs se sont organisés pour publier mensuellement les chiffres de la production et pour développer des systèmes de distribution « pertinents, fréquents, de qualité, à un prix juste » avec l’aide des conseils communaux de la zone Valentin Valiente.
En octobre 2010 le syndicat a présenté un document à la direction de Pescalba, entreprise cubano-vénézuélienne qui fournit à « La Gaviota » du poisson et d’autres matières pour la production. Ils y ont dénoncé des barrières bureaucratiques pour l’acquisition de la matière première, des outils et les problèmes dans le stockage et la distribution.
En décembre 2010, le syndicat a décidé de paralyser les activités. Les travailleurs n’avaient toujours pas reçu le paiement du treizième mois et dénonçait le fait que la gérance stockait inexplicablement plus de 50’000 caisses de produits sans les écouler.
Après 21 jours d’arrêt des activités, on est parvenu à certains accords, comme l’intégration de deux travailleurs dans la direction.
En janvier 2011 les activités reprennent. Mais en mars 2011 la production et la distribution chutent de nouveau jusqu’à l’arrêt de la production « par manque de matière première et à cause des barrières bureaucratiques ».
« Nous avions 96 mille caisses accumulées qui exigeaient une distribution rapide, efficace, nous ne pouvions faire le travail parce que les gérants retardaient les décisions et n’achetaient pas les matières premières. »
En avril, le ministre de l’Agriculture et des Terres Juan Carlos Loyo, s’est rendu sur place, a visité « La Gaviota » pour mener son enquête. Après une assemblée du personnel, il a destitué la direction de la partie vénézuélienne de Pescalba et a annoncé la restructuration de la direction de « La Gaviota » qui depuis lors serait intégrée par les travailleurs, les porte-parole de la communauté et de l’État.
À l’heure actuelle José García fait un bilan positif du processus mais insiste sur la nécessité de changer le modèle de gestion pour améliorer la situation. « Les travailleurs sont ceux qui doivent transformer ce modèle et prendre le contrôle des entreprises, pas les bureaucrates ni les directions syndicales » conclut-il avec ses compagnons, en proposant d’apporter un coup de main pour atteindre la souveraineté.
Qu’est-ce que le contrôle ouvrier ?
Le contrôle ouvrier signifie exactement ceci : la classe ouvrière et ses représentants dans les entreprises ont le droit d’inspecter les livres de compte de l’entreprise ou de l’industrie, de surveiller et de contrôler tous les revenus et les dépenses et les actions de la direction.
Dans le programme de transition au socialisme l’homme politique russe Léon Trotsky explique que le premier pas vers le contrôle réel de l’industrie est l’élimination des « secrets de l’entreprise » : la comptabilité est utilisée en effet pour justifier toutes les attaques contre la classe ouvrière, telles que les réductions de salaire, les licenciements et l’augmentation des cycles de travail. Quand les entrepreneurs disent qu’ils sont en faillite ou qu’ils perdent des bénéfices, il faut demander des comptes. Le contrôle ouvrier permet aux travailleurs de connaître les chiffres et donc la situation réelle de l’entreprise. L’idée est de lever le voile, de démontrer à la classe ouvrière le fonctionnement détaillé du système capitaliste, c’est un pas nécessaire dans son élimination.
Traduit de l’espagnol (Carolina Hidalgo, Ciudad Caracas – 22 mai 2011) par Thierry Deronne (La révolución vive), 24 mai 2011.
Une conception pour le moins minimaliste du contrôle ouvrier, mais c’est normal de la part de sources chavistes.