[« Affaire de Tarnac »] Donner une conférence de presse pour « disparaître » des médias, il faut avouer que personne n’y avait jamais songé

Quatre heures avec Julien Coupat pour refaire l’histoire de Tarnac

Une discussion à bâtons rompus avec Julien Coupat a mis un terme à quatre ans de quasi-silence de sa part. Mis en examen dans l’affaire de Tarnac pour « direction d’une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », il a donné rendez-vous à neuf journalistes de presse imprimée, web et radio au métro Ménilmontant (Paris, XXe arrondissement) ce lundi matin.

C’est Mathieu Burnel, l’un de ses co-inculpés, qui joue le guide jusqu’à l’appartement d’une de leurs amies, arrêtée en son temps mais jamais poursuivie. Un cortège (calme) se déploie dans l’escalier d’où descend une vieille dame.

La vision de cette conférence de presse improvisée prête à sourire : douze personnes dans un salon, cherchant un peu de place autour d’une table où les attend du café. Julien Coupat arrive un peu à la bourre, pas très à l’aise devant ce parterre de journalistes.

« Le seul moyen de disparaître »

Pour les deux mis en examen présents, l’objectif est clair : porter les derniers coups de boutoir à une affaire agonisante.

Au bout de quatre ans et 35 tomes, l’affaire de Tarnac semble toucher à sa fin. Les dernières avancées connues du dossier sur la carte bleue d’Yldune Levy, le rôle joué par un agent infiltré britannique et l’audition de dix-huit policiers ordonnée par la justice représentent autant d’éléments favorables à la défense.

Dans ce contexte, juge Mathieu Burnel, « l’affaire est terminée d’un point de vue judiciaire et politique ». Mais il reste « cette fiction policière de Julien-le-Chef », « figure monstrueuse puis quasiment figure de star » :

« Le fait qu’il ne s’exprime pas alimente ce fantasme de figure de l’ombre, c’est pour ça que Julien est là aujourd’hui. On ne va pas parler de la marque de ses chaussettes. »

Julien Coupat a toujours refusé les interviews depuis sa sortie de prison en 2009, soit en éconduisant les médias, soit en refusant d’être cité.

Cette fois-ci, il n’économise pas sa parole :

« Pendant un certain temps, apparaître c’était comparaître devant je ne sais quel tribunal médiatique. Maintenant, le seul moyen de disparaître, c’est d’apparaître.

Nous avons l’impression d’avoir fait justice de l’ensemble des allégations policières. Ne demeure qu’un seul élément qui pourrait rester dans les esprits : la construction de cette figure de “Julien Coupat”. »

Alors voilà, Julien Coupat est là, une clope à la main, et peut même parler de lui à la troisième personne.

Un exposé méthodique

Les mis en examen procèdent à un long récapitulatif de leur dossier, dont ils connaissent désormais les cotes par cœur, quatre ans et un jour après leurs arrestations. Ils l’attaquent sur trois axes :

• L’existence de Mark Kennedy, « point de départ de l’affaire », dont les informations sur le voyage à New York de Julien Coupat et Yldune Levy auraient aiguillé les Renseignements généraux vers le couple. Pour l’intéressé :

« Mark Kennedy correspond à l’idée que l’intensification du renseignement humain et technique permet d’arrêter les gens avant qu’ils ne commettent des crimes, ce que les Britanniques appellent “l’intelligence-led-policy”.

Le “premier cercle du groupe de Tarnac” désigné par les Renseignements généraux ne sont que des gens qui ont croisé Mark Kennedy.

L’enquête préliminaire n’a été ouverte que pour couvrir les écoutes illégales de l’épicerie de Tarnac, découvertes par le gérant une semaine avant [une information judiciaire est ouverte sur ces écoutes, ndlr].

Ensuite, il n’y a rien dans le dossier jusqu’à nos arrestations, malgré les accusations de conspiration internationale violente. »

• Le PV de filature de Julien Coupat et Yldune Lévy dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008(celle des sabotages), contre lequel les mis en examen ont déposé une plainte pour « faux en écriture publique » à Nanterre.

Ils dénoncent « les contradictions de la Sdat » sur les horaires, la position des véhicules, la topographie des lieux, avec « le soutien du juge d’instruction Thierry Fragnoli pour maintenir le dossier ».

La chronologie de cette nuit reprend de l’importance depuis que le compte bancaire d’Yldune Lévy a parlé : la carte bleue de la jeune femme a servi à retirer de l’argent à Paris cette nuit-là, à 2h44. Alors que les enquêteurs sont supposés la suivre en Seine-et-Marne.

Pour Julien Coupat, l’affaire est entendue : « On leur a dit clairement qu’on n’était pas là au moment des sabotages. »

« Nous sommes partis de Paris où nous étions sous surveillance, le 7 novembre. En prenant la nationale, nous nous apercevons que nous sommes toujours suivis alors on se casse dans les petites routes de campagne.

Nous jouons au chat et à la souris avec la police pendant une heure et demie ou deux heures. Après s’être arrêtés pour manger, nous demandons une chambre dans un hôtel complet.

On dort dans la voiture, sans regarder combien de temps, à notre réveil on part à l’écart pour faire l’amour puis on décide de rentrer à Paris.

C’est vrai que nous n’avons pas regardé l’heure, ne sachant pas qu’on devrait un jour s’en justifier. Et en garde à vue, on ne nous a pas posé de questions sur cette chronologie. Mais nous avons la même version des faits depuis le début alors que la police en a changé quatre fois. »

• Le témoignage de Jean-Hugues Bourgeois, jeune agriculteur à proximité de Tarnac, entendu sous X, dont l’identité a été révélée par TF1 en 2009.

« Seul élément du dossier qui fait tenir la direction d’une association de malfaiteurs », affirme Mathieu Burnel, « puisque ce témoin dit que Julien est le chef et qu’il est très méchant ».

« Bourgeois sert à consigner la trame policière », renchérit Coupat. De concert, les deux mis en examen attaquent la crédibilité de Bourgeois, qui a accusé la police de subornation avant de se rétracter et a livré des témoignages contradictoires.

Finalement, c’est qui ?

En se prêtant au jeu des questions, Julien Coupat et son camarade communiquent sur leurs activités politiques « loin de la clandestinité groupusculaire : l’épicerie était le lieu le plus ouvert de Tarnac ».

« Non », ils n’ont pas écrit L’Insurrection qui vient, « oui », ils participent à des mouvements sociaux depuis des années, « oui », ils se savaient surveillés avant même leur arrestation et trouvaient ça « insupportable ».

La conversation s’élargit sur le fonctionnement de la justice antiterroriste lui-même, décrit par Coupat :

« L’affaire de Tarnac est la norme dans la procédure antiterroriste, pas une exception.

Le seul hic c’est que généralement, les policiers se retrouvent face à des gens que personne ne soutient, dans des affaires où personne ne remet en cause leur travail. »

Quatre heures, douze tasses vides et deux cendriers pleins plus tard, une question finale s’élève du canapé :

« Finalement, vous pensez que c’est qui qui a posé les fers à béton ? »

« Ce n’est pas à nous de répondre à cette question », concluent les mis en examen, après avoir toutefois évoqué plusieurs fois la revendication allemande laissée de côté par les enquêteurs.

Fidèle à lui-même, Julien Coupat refuse finalement de parler au micro des journalistes radio, dépités :

« On se voit, on se parle et vous écrivez ce que bon vous semble, mais je n’ai pas envie d’apparaître. Si c’est Mathieu qui vous parle, c’est pareil, nous disons la même chose. »

Mercredi, une conférence de presse réunissant les avocats des mis en examen et plusieurs parlementaires doit se tenir à l’Assemblée nationale. Le thème : « Pour en finir avec l’affaire de Tarnac », écrivent ses organisateurs.

Presse affiliée à Coupat-Assous (Camille Polloni, Rue89, 12 novembre 2012)

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