Grève générale en Espagne, combats à Barcelone (2)

Grève générale en Espagne : Barcelone brûle

Vaga general ! Dès minuit (nuit du 28 au 29 mars, a la veille de la présentation d’un projet de budget d’austérité sévère par le nouveau président espagnol, le conservateur Mariano Rajoy), la grève est déclarée et les premiers « piquets » (groupes charges de fermer les établissements des « esquiroles » qui s’obstinent à travailler) s’organisent, forçant les bars à fermer et taguant quelques banques au passage. L’un d’eux a d’ailleurs profité de la situation pour piller un casino, lui soustrayant quelques milliers d’euros…

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Au matin d’autres piquets formés de centaines de personnes chacun relayent les premiers, fermant les boutiques ouvertes et déversant des déchets dans les banques et les taguant. Tous se rejoignent ensuite à la place Catalunya, au centre de la ville d’où partira la première grande manifestation dans les environs de midi. Si celle-ci commence plutôt calmement, bientôt une première bombe de peinture lancée par un « encapuchodo« , comme les appellent la presse bourgeoise locale, vole contre une vitrine d’un magasin de luxe, lançant un mouvement en marge des marches pacifiques des syndicats (CNT et CGT compris) et des indiñados qui ne s’arrêtera pas avant le petit matin du vendredi… Un Starbucks, un Macdo, un Zara, la Borsa de Barcelone et des dizaines de banques sont incendiés, des vitrines aux quatre coins de la ville volent en éclats, tous les distributeurs d’argent sont rendus inutilisables, des containers enflammés au milieu des rues créent des feux de joie et sur les murs fleurissent des « Quien siembra miseria recoge rabia« , des « vaga general » et des A anarchistes. Les mossos d’Esquadra, présents en masse mais semblant complétement désorganisés malgré les hélicoptères qui survolent la ville, situant les différents groupes qui se sont formés, tournent dans le centre et finissent par charger, se contentant au départ de frapper au hasard et de tirer des balles en caoutchouc avant d’utiliser des gaz lacrymos, une fois la nuit tombées. Il est important de relever le fait que c’est la première fois depuis la période Franco que la police a recours aux gaz, ce qui équivaut ici à une tentative du nouveau gouvernement à un retour au fascisme passé.

Pour un bilan chiffré de la manifestation : plus d’un demi million de personnes présentes à Barcelone (record pour une grève depuis la période franquiste), 50 arrestations (on craint des rafles dans les jours qui suivent étant donné le nombre de porcs en civil prenant des photos), 80 manifestants blessés et 16 flics, et 82% de travailleurs, d’après la presse bourgeoise, ayant participé à la grève, en grande partie dans les milieux de l’industrie (97%), des transports (95%) et de la construction (97%).

On peut aussi relever qu’une fausse bombe a été déposée devant une école privée pour bourgeois le matin du 29 en signe d’avertissement… C’est la troisième en un mois signant peut-être un désir de redonner sens au vieux surnom de Barca : « La Ciudad de las Bombas« .

Si la manifestation de Barcelone a été la plus importante au niveau du nombre et des actions de « violence », d’autres manifestations considérables ont eu lieu un peu partout en Espagne : Le Pays Basque sud a atteint un record de participation avec 90% des travailleurs en grève et des 13 millions de personnes se sont réunies sur l’ensemble du territoire, entre autres à Madrid, Valence et Salamanca, pour les rassemblements les plus impressionnants.

Le Réveil, 30 mars 2012.


Après un an d’indignation pacifique, Barcelone implose

Hier à Barcelone, lors de la grève générale du jeudi 29 mars contre l’austérité, les affrontements entre Mossos d’Esquadra et Black Blocs étaient particulièrement violents. Bon nombre de Catalans semblent s’être lassés d’un an d’indignation pacifique mais sans grands résultats. Notre correspondant était au cœur des événements.

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Réveil courbaturé, relents des bières nécessaires à apaiser une journée chaotique, premier coup d’œil sur les infos relatives à la journée de grève générale d’hier, jeudi 29 mars. Comme d’habitude, les infos divergent : El Mundo parle de l’échec de la grève et La Razon titre sur les héros qui sont allés au boulot tandis que 800.000 personnes manifestaient pour leurs droits sociaux. Mot d’ordre : exalter la violence des manifestants.

De l’autre côté, on évoque une grève réussie, sans trop d’accrocs, mis à part quelques encagoulés du côté de Barcelone. Mot d’ordre : relativiser les heurts urbains et ramener le gouvernement à la table des négociations.

Deux borgnes et 500.000 euros en fumée

Le quotidien conservateur catalan La Vanguardia, dont deux journalistes ont été agressés par des… comment les appeler. Des radicaux comme sur El Pais ? Des exaltés comme La Vanguardia ? Les violents d’ABC et de La Razon ? Disons des Black Blocs, car ils étaient tout de noir vêtu, portaient des lunettes de soleil, trimbalaient des marteaux et… mais n’allons pas trop vite.

Car, dans l’ordre absurde de mon esprit qui refait surface surviennent d’abord les effets causés par l’anarchie lors des manifestations de la veille à Barcelone : on parle de 80 blessés légers, dont 40 Mossos d’Esquadra, les CRS catalans, et surtout de deux blessés graves qui vont sûrement perdre la vue après avoir été la cible de flash-ball. Deux autres ont la rate dans un piteux état après avoir été tabassés par la violence légitime… pardon, par les Mossos.

Pire, pour le maire Xavier Trias, « nous avons touché le fond » et les quelques 300 bennes à ordure brûlées ont fait perdre à la ville un demi-million d’euros.

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« Qui sème la misère récolte la colère »

En découvrant les conséquences de ce qui aurait dû être une manifestation pacifique comme on en a tant vu depuis que les Espagnols s’indignent, un bruit grinçant et répétitif agresse mes tympans, des feux crépitent derrière mes rétines et l’odeur de plastique cramé agresse mes parois nasales. Dès midi, la journée de grève a été très sensorielle, entre le bruit des deux hélicoptères qui ont survolé la ville sans répit, les feux de containers mélangés aux gyrophares des Mossos et les éclats de vitre mêlés aux tirs de flashball.

Vers 16h30, quand plus de 200.000 Barcelonais s’apprêtent à descendre vers la Plaça Catalunya, mis à part des coups de peinture sur la Bourse de Barcelone et quelques vitres de banques abîmées, la sérénité de la foule domine. Puis la marche se scinde en deux.

D’un côté, sur le large Passeig de Gracia, la manifestation A. De l’autre, rue Pau Claris, la manifestation Z, les lettres correspondant au degré de self-control des manifestants. Rue Pau Claris, les drapeaux de la CNT et de la CGT flottent dans une atmosphère tendue, la rue étroite ne répercute d’autre chanson que « Qui sème la misère récolte la colère » et des gens vêtus de noir commencent à scotcher les parties sensibles de leur corps et à remonter un masque sur leur visage.

D’une dizaine, ils seront en bas de la rue plus de cinquante à choisir le marteau plutôt que les cordes vocales. Le plus surprenant n’est pas qu’ils brisent quelques dizaines de vitrines de banques — on a tous vu les images de la manifestation anti-Otan de Strasbourg — mais bien la réaction des manifestants lambda. On applaudit, poussé bien sûr par les chauffeurs de salle qui célèbrent chaque nouveau casse, mais tout de même. Personne pour chanter « No a la violencia » comme le faisaient si bien les indignés barcelonais avant de se faire matraquer le 27 mai sur la Plaça Catalunya, ce qui leur avait valu toute la solidarité de la société espagnole.

Gare à ceux qui voudraient immortaliser les destructions : le photographe risque de perdre son précieux joujou si les Black Blocs le voient. De mémoire, ont volé en éclat une ou deux banques Caixa, une agence de voyage, quelques assurances, la vitrine d’une boutique de vêtements, d’autres banques et le Corte Inglés. Le tout sous les applaudissements et le survol des deux hélicoptères.

Une balle de caoutchouc en souvenir

Quelque chose a changé. L’absence de résultats après presque un an de mobilisation pacifique aurait-il fatigué les plus patients à Barcelone ? Toujours est-il qu’en rejoignant la Plaça Catalunya, en écoutant les manifestants reprendre les paroles du chauffeur de foule de la CGT, ce qui devait arriver arriva. Les fourgonnettes de Mossos débarquent et la bataille commence.

Certains Black Blocs avaient décollé des pavés, mais lancés de loin, ils ont peu de chance de faire aussi mal que les balles de caoutchouc des Mossos.

Les Mossos ayant repris la Plaça Catalunya à coups de gaz lacrymogène particulièrement nocifs, dont ils inauguraient l’usage avec des masques dignes des tranchées, une course-poursuite s’engage dans les rues adjacentes vers 19 heures, entre les brûleurs de bennes à ordures et les tireurs de caoutchouc.

Entre eux, des passants, costume-cravate ou fille dans les bras, et cet homme cheveux poivre et sel qui déambule tranquillement et nous lâche un « Ah, ces jeunes » tandis que trois fourgons prennent en course des fuyards. L’objectif ? Il suffit d’ouvrir le forum des Mossos pour le découvrir : « Cette fois, ça peut-être l’occasion d’en chasser beaucoup avec des noms, prénoms, antécédents et preuves. À voir si c’est vrai. Ce serait un grand coup ! »

… Une journée de grève pour rien ?

Francis Dupuis-Déri, chercheur en sciences politique québécois spécialisé sur l’anarchisme, rappelle que les manifestants pacifistes, aidés en cela des médias et des politiques, finissent toujours par rejeter la violence des Black Blocs pour demeurer des interlocuteurs crédibles.

La règle n’a pas manqué au lendemain des affrontements de rue de Barcelone, où le message général est à la dénonciation d’une minorité d’encagoulés rageurs qui viennent dénaturer le message pacifique du reste des manifestants. Fort de cette opinion, le conseiller à l’Intérieur du gouvernement catalan a déjà annoncé un plan antiguérilla urbaine, avec des mesures légales, judiciaires et policières à la clé.

« Nous ne voulons pas être le théâtre de groupes à l’instinct criminel qui agissent avec une certaine impunité » a martelé Felip Puig en réponse aux coups de marteau contre les vitrines des banques de Barcelone. Mariano Rajoy, président du gouvernement, n’a pas non plus traîné pour reprendre les choses en main : il vient d’annoncer que le budget de 2012 subirait un ajustement de 27 milliards d’économies, soit 16,9% de coupe budgétaire pour chaque ministère par rapport à l’année précédente…

Leur presse (Myeurope, 30 mars 2012)

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