[L’histoire du terrorisme est écrite par l’État] Il n’y a pas de liberté sans pouvoir effectif de transformer l’existant

Des policiers accueillis aux cris de « Allahu Akbar… »
Les feux d’artifice de la honte

Besançon | Le tir d’une demi-douzaine de gros mortiers de feux d’artifice a été entendu de Bregille à Saint-Claude, deux quartiers diamétralement opposés et éloignés de la capitale régionale, mercredi soir, vers 21h30.

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Un urbanisme qui rend particulièrement difficile l’intervention sereine des forces de l’ordre.

Ils provenaient du quartier de la Grette où, visiblement, l’annonce de l’attentat contre l’hebdomadaire « Charlie Hebdo », a été fêtée par quelques individus. Quelques minutes auparavant, la police était intervenue au 29 H, sur appel au « 17 », pour des perturbateurs dans les étages de la cage d’escalier.

Sur place, la patrouille a été immédiatement la cible de projectiles divers, balancés aux cris de « Allahu Akbar… » par une dizaine d’individus, vêtus de sombre. « On en a tué deux, on va continuer » ont ajouté les jeunes gens, tandis que l’équipage de police faisait marche arrière afin de ne pas envenimer les choses. Le tir festif s’est produit après leur départ.

« Cela a toujours été un quartier difficile… »

Depuis l’été et l’installation de caméras de vidéosurveillance par la Ville, la tension est particulièrement vive dans le quartier dit des « 408 » à Besançon. « Cela a toujours été un quartier difficile, où il faut être plus nombreux qu’eux » souffle un policier expérimenté.

De par sa configuration, complètement détachée du tissu urbain qui l’environne de façon plutôt lâche, la dalle de la Grette ne facilite pas, en effet, l’intervention de la police. Au milieu des immeubles qui s’élèvent de façon monolithique, commerces, écoles, maison de quartier façonnent un univers étanche, dominé, dès la nuit tombée par les trafiquants de stupéfiants. Le deal y fleurit et des armes de guerre y ont déjà été trouvées. « On a ce profil de délinquants qui font également l’apologie d’une idéologie de façon à marquer encore plus leur territoire … qui correspond de fait à celui des deux suspects de la tuerie de mercredi. »

Un défi permanent aux forces de l’ordre

Cet ensemble, qui se paupérise de plus en plus avec une centaine de logements vides, pose un défi permanent aux forces de l’ordre. Récemment, l’interpellation d’un suspect dans une affaire de coups de couteau, filmée intégralement par une caméra, a révélé une scène sidérante de rébellion urbaine.

Des résidants de tous âges, jusqu’à la mamie en pantoufles donnant des coups de pied dans le véhicule de la BAC, ont répondu à l’appel de l’interpellé, pressant les policiers qui s’en sont sortis avec un sang-froid impressionnant. La condamnation de huit des assaillants, hommes et femmes identifiés par les images vidéo, quelques jours plus tard, a provoqué une réaction instantanée. Le poteau portant la caméra a été sectionné à la disqueuse.

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Modeste contribution contre « l’union nationale je suis Charlie » Diffusée à la manif de gauche de ce samedi après-midi à Marseille, non sans difficultés (insultes, tracts jetés à la gueule, « mais vous avez pas honte de diffuser ça aujourd’hui », etc.), mais ça a quand même suscité des discussions qui ont un tout petit peu ébranlée la torpeur généralisée de la manifestation… (Marseille Infos Autonomes, 11 janvier 2015) | TÉLÉCHARGER LE TRACT

Depuis, c’est l’escalade. Lorsque la Ville coule une protection de béton autour des mats, un court-circuit est provoqué dans l’éclairage public pour les plonger dans le noir. Ce jeu du chat et de la souris s’affiche avec morgue, lorsque lors d’une perquisition en règle des communs, les quatre pneus du commissaire qui pilote l’opération sont crevés au nez et à la barbe de la demi-compagnie de CRS sécurisant l’opération … et surveillent surtout ce qui pourrait tomber des étages.

Pour Jean-Sébastien Leuba, adjoint à la vie des quartiers, « ce sont quelques jeunes, sur des milliers à Besançon, qui font que ce quartier est stigmatisé. Je ne veux pas céder à la provocation, ni leur donner de l’importance. Déjà, après le 11-Septembre, il y avait eu ce type de provocations. On a des choses en préparation, avec la politique de la Ville, l’éducation à la citoyenneté, c’est l’affaire de tous… Dans ce contexte de crise, c’est une réaction globale, la mobilisation de tous les acteurs qui nous permettra d’avancer. En tout cas, je tire mon chapeau aux forces de l’ordre qui, par rapport au travail qu’ils font et aux effectifs qu’ils ont perdus ces dernières années, conservent leur sang-froid dans ces moments difficiles. »

Presse antiterroriste (Fred Jimenez, EstRepublicain.fr, 9 janvier 2015)

 

Être ou ne pas être Charlie – là n’est pas la question

Dans le chaos provoqué par l’attentat monstrueux qui a coûté la vie à douze êtres humains, il n’est pas facile de se situer. Entre ceux qui expriment uniquement douleur et colère justifiées, ceux qui « craignent les amalgames » et ceux qui appellent à l’union nationale (et internationale) contre l’Islamisme radical sous la bannière du slogan « je suis Charlie ».

Bien sûr, le crime appelle douleur et colère, mais contre quoi exactement ?

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Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, Patrick Calvar, directeur général de la DGSI et Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale arrivent à l’Élysée le 7 janvier 2015.

Ce massacre ignoble est revendiqué par des individus qui se disent membres de Al Qaida. La nécessité absolue de combattre les mouvances obscurantistes de l’islamisme radical ne doit pas nous rendre amnésique. Ces courants qui s’imposent par la terreur affirment commettre leurs crimes au nom de l’Islam. Leur développement a été rendu possible par les interventions impérialistes, le démembrement des États et l’utilisation par l’Occident de ce courant contre les forces progressistes. En France, la situation sociale insupportable que vit la population issue de l’immigration post-coloniale, le racisme d’État, l’islamophobie, les discriminations, la stigmatisation ou les contrôles au faciès portent une responsabilité évidente dans l’essor de ce courant qui touche en réalité une frange marginale d’une jeunesse de toutes origines mais sans horizon.

Bien sûr le crime risque de provoquer des amalgames. Mais ces amalgames sont-ils nouveaux ? Charlie Hebdo, qui a longtemps représenté pour nous l’impertinence, l’insolence de mai soixante-huit, Wolinski, Cabu, l’écologie, RESF, ne s’est-t-il pas justement distingué dans l’art graphique et politique de l’amalgame depuis des années ? Et que les choses soient claires, personne ici ne dit qu’il n’avait pas la liberté de le faire et il a eu toute liberté de le faire des années durant.

Avoir la moindre complaisance ou compréhension pour des assassins de dessinateurs ou pour la mise à mort de gens en raison de leurs idées est insensé.

Mais Charlie Hebdo a mené une bataille politique. Et occulter et faire oublier dans quel contexte il publiait ses caricatures faisait partie de sa bataille politique.

Peut-on imaginer des caricatures émanant de journaux progressistes critiquant la religion juive pendant les années trente au moment de la montée de l’antisémitisme et de la persécution des juifs ? Et nous ne parlons pas ici de caricatures antisémites de l’époque mais de caricatures critiquant la religion juive.

Comment la critique des religions pourrait-elle faire abstraction du rapport dominant/dominé ? Critiquer les religions cela se fait aussi dans un contexte, dans un moment politique qui n’est aucunement neutre à l’égard des musulmans. Les actes de Charlie Hebdo, et les caricatures et les articles sont des actes et ont participé au développement de l’islamophobie en France. Développement du mépris et du racisme à l’encontre de tous les musulmans, des lois chargées de protéger « la laïcité à la française » contre eux, des mosquées attaquées, des agressions physiques contre des gens « d’apparence musulmane ». Leur désignation comme boucs émissaires de la crise économique et sociale, qu’ils subissent aussi et souvent en première ligne, à l’aide des « amalgames » est en marche depuis des années.

http://juralib.noblogs.org/files/2015/01/023.jpgDes ghettos et des discriminations, il n’en est pas question aujourd’hui, l’« union nationale » peut se faire avec le sang de tous ces morts, contre les musulmans, des mosquées brûlent déjà (encore), le terrain a été préparé de longue date.

Le « suicide français » est en marche annonçait le mois dernier un autre Charlot.

« L’Union Nationale » et « l’Union Sacrée » que l’émotion autour du massacre qui vient d’être commis essaie de nous imposer, manipulent les sentiments d’horreur et de révolte légitimes au service d’autres significations bien plus complexes et douteuses. La liberté d’expression n’est pas menacée en France, même la plus raciste. Nous ne sommes pas dans le camp de ceux qui soutiennent le racisme d’État ou les interventions impérialistes. Nous n’acceptons pas le « choc des civilisations » et la logique « terrorisme/antiterrorisme ». Nous refusons d’avance toutes les nouvelles lois « sécuritaires » et toutes les nouvelles formes de discrimination ou d’injonction à l’égard des musulmans que cette union nationale ne peut manquer de produire.

Alors aujourd’hui craindre l’amalgame nous semble plus qu’insuffisant. La France se dit un État de droit, les criminels doivent être arrêtés et jugés pour leurs crimes. Mais leur crime va bien au-delà, il vient en réalité de libérer la politique de l’amalgame, et du bouc émissaire. En ce sens les bourreaux comme les victimes de l’attentat étaient partie prenante de la guerre des civilisations. En ce sens, si les assassins nous font horreur, Charlie n’était pas et n’est pas pour autant notre ami et « nous ne sommes pas Charlie ». Si notre solidarité et notre profonde compassion vont à tous les journalistes, salariés, policiers, victimes innocentes de cette tragédie et à leurs familles, l’union qu’il faut construire aujourd’hui est celle d’une France qui accepte d’être enfin celle de tous ses citoyens, musulmans inclus. La bataille contre le terrorisme passera par la bataille pour l’égalité, la justice, la reconnaissance de la France d’aujourd’hui dans toute sa diversité source d’immense richesse. Pour qu’au bout de cette nuit, le jour se lève, nous devons être aujourd’hui des musulmans.

Bureau national de l’UJFP, 9 janvier 2015

Nous apprenons à l’instant la prise d’otage d’un supermarché casher de la Porte de Vincennes, à Paris, qui semble liée à une attaque de plus grande envergure. Plus que jamais notre travail à l’UJFP sera de construire du « commun » autour des valeurs universelles que nous venons d’énoncer. Comme juifs, nous serons toujours du côté du dominé, du racisé, du discriminé, qu’il soit musulman, Rrom, juif…

 

Attentat à Charlie Hebdo : après l’émotion, l’instrumentalisation

L’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo mercredi 7 janvier et le massacre de 12 personnes — un agent d’entretien, un visiteur, 8 membres de la rédaction et de deux policiers chargés de leur protection — par des fanatiques religieux sont dramatiques tant au plan humain qu’au niveau de ce qu’ils signifient. Nous ne pouvons qu’exprimer notre condamnation et apporter notre soutien. Néanmoins les conséquences de cet événement risquent d’être tout aussi dramatiques au plan politique et social.

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Cet attentat est une aubaine pour les tenants du repli identitaire et nationaliste. Le Front national va essayer d’en sortir gagnant en tentant une fois de plus de se poser en garant des libertés républicaines et de la laïcité. Pourtant, nous savons ce qu’il en est réellement de la véritable nature de ce parti et que sur le fond il est le premier ennemi des libertés publiques et individuelles.

Inévitablement, on va aussi assister à une poussée de l’islamophobie, du discours discriminant et d’exclusion qui touche déjà la communauté musulmane dans son ensemble et plus largement les populations d’origine immigrée. Celles-ci vont bien être les premières victimes des conséquences de cet attentat. On risque même de voir se développer des initiatives populistes et racistes comme le mouvement Pediga en Allemagne. Par ailleurs, n’oublions pas que les jeunes assassins qui ont perpétré cette tuerie ont aussi été victimes de lavages de cerveaux de la part de fanatiques religieux que l’État français a sciemment laissé s’installer dans les banlieues et en milieu carcéral.

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Enfin, au nom de « l’union nationale » et de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement et les classes dirigeantes politiques et économiques vont renforcer les mesures sécuritaires et liberticides, restreignant un peu plus nos libertés et renforçant le contrôle social des populations. Cela, sous couvert d’un discours d’unité nationale masquant les divergences d’intérêts de classe et visant à faire oublier la situation économique et sociale désastreuse ; leur gestion du système capitaliste produisant chaque jour un peu plus de misère et de précarité, fragilisant la société dans son ensemble.

Tout cela risque d’alourdir encore un climat politique et social déjà très pesant et inquiétant.

Seule une action sociale visant à la réduction des inégalités, visant à construire une société basée sur l’égalité économique et sociale peut inverser la tendance et apporter des réponses à la situation actuelle et à ses enjeux. Par ailleurs, celle-ci doit inévitablement s’accompagner d’une action éducative et pédagogique, d’éducation populaire, dans le but de lutter contre toutes les formes d’obscurantismes. Dans ce contexte, l’école et ses personnels jouent un rôle central.

Une fois de plus notre objectif : « éduquer pour émanciper » est plus que d’actualité pour lutter contre le fanatisme, l’obscurantisme et le fascisme sous toutes ses formes !

CNT Éducation 69, 10 janvier 2015

 

La sale guerre (de retour)

Réaction de la rédaction du site italien d’analyse militante InfoAut après les assassinats perpétrés dans les locaux de Charlie Hebdo.

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Plus que jamais nous réalisons à quel point “nous sommes racontés” par un langage normé [« medio(cre) » dans le texte, « medio » qui signifie normé et « mediocre » qui signifie médiocre] qui nous domine et parle de nous, contre nous, en nous écrasant et en nous rendant impuissants.

À tous ceux qui sont déjà en train de saturer les réseaux sociaux de condoléances, prêts à s’enrôler dans la nouvelle guerre de civilisation contre l’Islam (à droite) ou en faveur de la pareillement insupportable profession de foi en faveur de la liberté d’expression (à gauche), nous aimerions rappeler une banalité : il n’y a pas de liberté sans pouvoir effectif de transformer l’existant, le reste n’est que verbiage. En ce moment, c’est surtout un raisonnement à froid, détaché et intelligent dont on a grandement besoin.

Le plus insupportable sera d’assister aux manifestations et aux prises de position au cours desquelles les porte-drapeaux de l’ironie libérale défileront main dans la main avec lepénistes et supporters gauche-chic de Hollande. De bien moches compagnons de route. Alors que la droite se délecte d’identités perdues et fantasmées, la gauche brille par son cynisme postmoderne de la distance et de l’ironie qui ne s’engage pas. Ironie parfaitement fonctionnelle (nous nous en apercevons ces jours-ci) quant au renforcement du status quo libéral et capitaliste. Les premiers travaillent à la création d’un ennemi imaginaire, les autres à une éthique du désengagement et d’une adhésion au capitalisme tardif de la liberté-dans-la-consommation (surtout culturelle, ça va sans dire [En français dans le texte]).

Pour éviter tout malentendu et pour tenter de poursuivre une réflexion difficile et dérangeante, nous le disons : nous sommes écœurés par ce qui s’est passé ! Nous sommes à des années-lumière d’actes de cette teneur ! Nous ne croyons pas qu’ils représentent ou puissent être utiles aux causes et intérêts des populations qui ont payé et continuent à payer les effets des politiques impérialistes scélérates. Nous voilà acquittés de notre devoir, nous avons montré patte blanche – mais nous rendons-nous compte à quel point il est humiliant et surréaliste de devoir faire ces préambules ? Être obligés a priori de prendre position en faveur de la civilisation occidentale, sous peine d’être mis au banc des accusés, est déjà en soi la preuve de l’uniformité du discours occidental. Discours dans lequel la satire « islamophobe-libertaire » est complètement homologuée – reprenons le fil…

Durant les 20, 25 dernières années, l’Occident euro-atlantiste a effectué directement ou déclenché à distance guerres et conflits inter-confessionnels et inter-ethniques afin de maintenir sa propre domination géostratégique sur des territoires principalement de foi musulmane. Il ne s’agit pas de justifier un massacre qui n’a de sens que pour ceux qui l’ont accompli et ceux qui veulent attiser de nouveaux affrontements de civilisation. Mais il reste toute même inévitable et obligatoire de se demander combien de morts ont produit ces 30 années d’intrusion euro-américaine au Moyen-Orient. Intrusions qui, structurellement et selon le besoin, ont utilisé et favorisé, ou au contraire puni et combattu, un islam politico-militant, qui lui-même s’est toujours transformé, fragmenté, réuni et recomposé au gré des alliances et des intérêts qui étaient et sont encore en jeu.

Les services secrets et les états-majeurs des États-Unis, de la Grande Bretagne, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie n’ont jamais cessé de jouer, de manière (ir)responsable, avec des pantins qui depuis longtemps contre-utilisent à leur tour ceux qui les financent et les soutiennent quand ça les arrange. Pensons à ce qui s’est passé en Lybie, au Mali, en Syrie et aujourd’hui aux portes de Kobane avec l’ISIS, commanditaire politique de ce massacre stupide et inutile. Aujourd’hui un peu de cette sale guerre dissimulée revient chez elle, avec les intérêts. Et comme souvent, elle ne prend pas les formes claires et politiquement légitimes d’autrefois, mais la physionomie délirante et mortifère d’un monde sur le bord de l’implosion systémique. La merde que nous exportons ailleurs nous éclabousse en retour. Paradoxalement le cui bono [« À qui profite le crime ? »] de ce geste fait les intérêts des apologistes du choc des civilisations, non seulement les Salvini [Chef de la Ligue du nord, parti d’extrême-droite italien], les Le Pen et respectivement les disciples du nouveau Califat, mais également des États-Unis. Ces derniers, de loin, riant sous cape, pourront se complaire d’avoir réussi en quelque sorte à décharger sur l’Europe non seulement la crise économique mais également les effets les plus néfastes de cette « guerre contre le terrorisme » dont ils sont les principaux initiateurs.

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Pour finir, encore quelques paroles sur la satire et la tant déclamée liberté d’expression. Depuis 2001, Charlie Hebdo a construit son fonds de commerce sur la névrose islamophobe dont les principaux vecteurs sont les barbus, les femmes voilées et autres ennemis imaginaires. De notre point de vue, la raison d’être de la satire est de déranger ceux qui commandent. S’exprimer ironiquement dans une vignette n’exempte pas d’un jugement de valeur sur le message véhiculé. Pointer du doigt les groupes minoritaires discriminés à cause de responsabilités historiques précises, n’équivaut pas à critiquer et railler le pouvoir religieux et culturel hégémonique de son propre pays. En France, la prétendue question de « l’ennemi intérieur », désormais omniprésente en Europe, se façonne autour et sur l’omission du passé colonial. C’est pour cela qu’il n’y a pas de liberté abstraite qui tienne, et que Charlie Hebdo, d’hebdomadaire désacralisant, est devenu un magazine qui faisait horreur à quelques-uns de ses anciens collaborateurs. En somme, avec toute l’empathie que l’on peut avoir pour les victimes, nous ne sommes pas Charlie Hebdo, qui est devenu un bien piètre journal.

La facilité avec laquelle on opère le rapprochement entre l’auteur d’un geste criminel et son groupe social est le test révélateur d’une hiérarchie des groupes sociaux. Lorsqu’un musulman tire, c’est tout l’Islam qui en est responsable, lorsqu’un noir commet un vol à main armée, c’est toute la race qui est présumée coupable (comme le démontre le nombre d’assassinats de jeunes noirs par la police aux États-Unis). Lorsqu’en revanche c’est un intégriste catholique qui massacre des dizaines de jeunes au nom de la défense de l’Europe judéo-chrétienne, comme c’est arrivé à Utoya en Norvège, l’épisode est dépolitisé et relégué dans le champ psychiatrique.

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Le foutoir général ne peut que produire ces monstres (d’un côté comme de l’autre), nous devons en être conscients. La seule réponse possible non homologuée est de nous chercher et de construire des rapports de force en capacité d’imposer notre terrain sans se faire traîner dans ceux d’autrui, si visqueux. Et ce en refusant l’appel à l’enrôlement, au prix d’apparaître impopulaire aujourd’hui, pour éviter d’ultérieures catastrophes demain.

Traduit de InfoAutParis Luttes Info, 10 janvier 2015

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