[Notre-Dame-des-Landes] Des outils numériques

Notre-Dame-des-Landes, une lutte « augmentée » par le numérique

Le conflit qui oppose un assemblage hétérogène d’organisations aussi diverses que la Confédération paysanne, Attac ou encore Greenpeace au projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes présente une spécificité que peu d’observateurs ont relevée jusqu’ici.

Une nouveauté qui ne tient pas au réseau dense et complexe de solidarités nouées à l’occasion de cette opposition au gouvernement, mais à l’arrivée, au sein de cette coalition hétéroclite, d’un acteur habitué jusqu’ici à des champs de bataille autrement plus conflictuels : Telecomix, une « non-organisation » qui dénote, par ses structures, son idéologie et sa gouvernance, avec les autres acteurs impliqués sur le terrain.

Telecomix, actif de la Syrie à Nantes

Telecomix, qui regroupe un assemblage hétérogène d’« hacktivistes » – contraction de « hacker » et d’« activiste » –, s’était illustré jusqu’en 2010 par son expertise juridique et ses actions de lobbying visant à la défense des « libertés numériques » auprès du parlement européen. Mais le groupe informel, souvent décrit comme une « ONG de hackers », proche du Parti pirate suédois et de WikiLeaks, s’est véritablement révélé à travers son soutien logistique et logiciel au printemps arabe.

Ouvert, sans hiérarchie, et fonctionnant sur un modèle entièrement décentralisé, Telecomix, depuis maintenant plus de deux ans, s’est fait une spécialité de venir en aide à des populations opprimées par des régimes autoritaires recourant à la violence pour imposer leur volonté, principalement au Maghreb et au Moyen-Orient.

La philosophie et le combat de Telecomix est – sur le papier – très simple : garantir la libre diffusion et le partage de l’information, quelle qu’elle soit, en particulier quand un régime politique s’oppose à sa libre circulation. Notre-Dame-des-Landes, qui n’aura percé dans les médias qu’à la suite de la très violente répression policière qui aura fait une centaine de blessés dans le camp des manifestants – un score digne d’une dictature – est ainsi devenu le tout dernier combat dans lequel Telecomix s’est engagé.

Dans la lignée d’opérations telles qu’« OpEgypt », qui avait permis de rétablir une connectivité internet dans une Égypte soumise au « blackout » par Hosni Moubarak, ou d’« OpSyria », qui consistait à mettre à la disposition de l’opposition syrienne des technologies de communication chiffrées et de coordination avancées, Telecomix a expérimenté à Notre-Dame-des-Landes différentes technologies visant à offrir à ceux qui s’opposent à l’installation d’un aéroport des outils numériques destinés à soutenir leurs actions.

Surveillance des forces de l’ordre

Ainsi, un réseau internet sans fil « mesh » (maillé), résiliant et impossible à surveiller, est en cours de déploiement dans la « zone à défendre » (ZAD), le territoire occupé par les opposants.

Des services collaboratifs et sécurisés en ligne ont été mis en place afin d’optimiser les problématiques de logistique, de communication et de transport de l’ensemble des acteurs sur le terrain, des systèmes de surveillance et de suivi des actions et des déplacements des forces de l’ordre sont en cours de développement, ainsi que d’autres technologies avancées, mises au point lors du printemps arabe ou créées à l’occasion.

Mais les hacktivistes de Telecomix ont également recyclé un savoir-faire accumulé lors du printemps arabe en matière de dissémination et de maîtrise des flux informationels, improvisant une véritable agence de presse, similaire à celle mise en place dès le début du conflit syrien, qui est encore à ce jour le seul système en mesure d’assurer une protection à ses utilisateurs face aux systèmes de surveillance numérique étatiques contrôlés par Bachar el-Assad.

Des airs d’« Occupy Wall Street »

Les projets en cours de développement par Telecomix ne sont pas sans rappeler les dispositifs déployés lors des manifestations d’« Occupy Wall Street » :

• mise à disposition de l’ensemble des opposants de connectivité internet gratuite et sécurisée, échappant à toute surveillance electronique ;

• centre de presse destiné aux médias internationaux et à la presse alternative ;

• initiation de la population locale aux techniques de chiffrement.

Bien sûr, les compétences en terme d’utilisation à des fins de résistance politique d’outils sociaux tels que Facebook et Twitter ont également été mises à profit. Des stratégies de guerre informationelle et de coordination tactique elles aussi mises au point en Tunisie, en Égypte et en Syrie.

Mutation des conflits sociaux

Mais au-delà des actions et des initiatives de Telecomix, le phénomène le plus évident et le plus durable résultant de l’arrivée de hackers sur la scène de Notre-Dame-des-Landes reste, sans aucun doute, la mise en place de liens de solidarité et de coopération entre les mouvances du « hacking » et des organisations issues de luttes propres au XXe siècle. Des passerelles qui semblent à la fois profiter à l’efficacité des actions initiées par les différents acteurs de terrain, et qui inscrivent l’« hacktivisme » dans l’histoire des conflits sociaux propres au territoire français.

Au-delà d’une lutte ponctuelle, Notre-Dame-des-Landes marque probablement le début d’une mutation en profondeur des conflits sociaux à venir. Une mutation qui, comme beaucoup d’autres, passe par la maîtrise du numérique.

Leur presse (Fabrice Epelboin – entrepreneur dans le secteur des médias sociaux et enseignant à Sciences Po Paris –, Rue 89, 27 novembre 2012)

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3 réponses à [Notre-Dame-des-Landes] Des outils numériques

  1. A.D. dit :

    « Le conflit qui oppose un assemblage hétérogène d’organisations aussi diverses que la Confédération paysanne, Attac ou encore Greenpeace au projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes présente une spécificité que peu d’observateurs ont relevée jusqu’ici. »
    Déjà, où sont les autres qui ne sont ni à celle-là, ni à l’autre d’organisation?
    C’est plutôt une fraction de la population qui est opposée à ce projet mégalomane. Illes viennent de partout pour le dire et prêter main forte, les organisations plus ou moins de gauche ne sont » les opposants » au projet NDDL.
    Le Telecomix a aveuglé le rédacteur, mal barré pour y comprendre cuts.

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