« L’Ennemi intérieur au Val Suse » ?

« L’Ennemi intérieur au Val Suse » ?

J’ai lu un article intitulé L’Ennemi intérieur en Val Suse, publié le 26 octobre en France, sur “Le Jura Libertaire”. Je suis un No Tav convaincu et je suis aussi convaincu, comme tous les No Tav, que l’extension de la lutte en France soit de grande importance pour son succès. Dans ce papier en revanche, sont énumérées une multitude de critiques au camping de Chiomonte, et surtout une série assez longue de mensonges. J’ai passé tout l’été (de même que tout l’été précédent) à Chiomonte et j’ai participé aux initiatives de lutte et de résistance contre la militarisation. Quand je ne suis pas en vallée, j’habite au centre social Askatasuna de Turin, mentionné à plusieurs reprises dans le document et décrit comme organisateur ou  « gérant » du camping.

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Sauf que L’Été No Tav n’a pas été organisé ni géré par mon centre social (avec lequel les signataires du texte identifient probablement, de manière imprécise, tout/e/s les camarades autonomes de Turin et de Val Suse) mais, pour la première fois, par la coordination des comités de la vallée qui se sont réunis pendant tout l’été dans les différents villages.

Dans le document il est affirmé qu’à cause des « autonomes de l’Askatasuna », la cuisine et le bar n’étaient pas autogérés, qu’on y mangeait de la viande et qu’un prix minimum à 1 euro avait été fixé. Toutefois, il n’en a pas été ainsi : la cuisine a été autogérée par les comités (animés par la population de la vallée) et ce par décision du comité de coordination, tandis que le bar a été géré dans un premier temps par le Komitato Giovani No Tav (Komité Jeunes No Tav) de la vallée et par la suite par tous les participants au camping, sur la base d’un planning autogéré et de référents choisis pendant les assemblées.

Tous ces choix, y compris celui de ne pas bannir la viande des repas et de demander la contribution d’un euro, ont été faits par le mouvement et non par une de ses composantes.

Je ne comprends pas pourquoi diffuser des informations mensongères sur des sujets apparemment peu approfondis.

Sur certains points vous avez raison : le mouvement par exemple, devra faire davantage d’efforts pour trouver des interprètes et permettre une meilleure traduction pendant les assemblées. Il est en effet évident que vous avez peu et mal compris ce qui s’est passé. Revenons par exemple sur les faits du 15 août dernier : pendant la nuit des feux, bien que l’assemblée du camping ait choisi une modalité de lutte tranquille pour la soirée, certains camarades ont commencé à endommager le mur du chantier en Val Clarea. Il n’y a alors eu aucune dramatisation de cette initiative, mais une confrontation très tranquille à l’issue de laquelle a été convenu que ce n’était pas la peine de lancer un affrontement avec la police ce soir-là afin de respecter la décision de l’assemblée. C’est pour cela qu’il a été expliqué à ceux qui voulaient réagir aux canons à eau, que dans cette situation-là, il était préférable d’avoir tous le même comportement.

Le mouvement No Tav s’est toujours approprié les modalités d’actions collectives, ce n’est pas une grande nouvelle ; mais il ne faut pas juste en avoir conscience lorsque ces modalités sont satisfaisantes, amusantes ou encore individuellement partagées. Chacun est libre de ne pas reconnaître le contexte collectif comme lieu décisionnel, sur la base de ses propres idées, mais il ne peut imposer cette attitude et ses idées à un mouvement populaire qui, pendant des années, a choisi l’assemblée comme forme la plus judicieuse pour permettre à toutes les instances de se confronter et produire une initiative collective. Les idéologies n’ont rien à voir, c’est une question de respect et de méthode. Le mouvement a fait ce choix de façon autodéterminée et ne peut se soumettre à aucune autorité extérieure, et à la vôtre non plus ; il ne suffit pas de se définir « anti-autoritaire » pour être considéré respectueux de l’autonomie et de la liberté des parcours de lutte … il est nécessaire de le démontrer dans les faits.

Je trouve pathétique que vous insultiez les No Tav qui vous ont invité à respecter les décisions de l’assemblée, en les appelants « policiers ». Bien loin d’illustrer votre « anti-autoritarisme », vous ne donnez la preuve que de votre incapacité à respecter les autres, je ne dis pas dans la discussion, mais ne serait-ce que dans l’offense. Au lieu de désigner certains No Tav comme « policiers », il aurait été plus pertinent de votre part d’éviter de fournir aux vrais policiers (italiens et français) des informations détaillées sur des présumées décisions que les camarades (rendus identifiables grâce à vos indications sur le nom de notre endroit occupé) auraient pris en matière de pratiques illégales à propos de la journée du 31 août et de son « organisation » présumée.  Cela, surtout dans un contexte comme celui de la Val Suse, caractérisé par le recours à outrance à la répression carcérale et à la militarisation du territoire. La résistance n’est pas un jeu et il faut se rendre compte de ce que l’on écrit, où et comment on le fait.

Le paradoxe réside dans le fait que ce que vous publiez sur internet à ce sujet est complètement faux. Vous nous « accusez » d’avoir déplacé l’initiative du 15 au 31 août … mais vous ne savez pas de quoi vous parlez. Je me contenterais de préciser (le reste est inadapté à ce moyen de communication) qu’une initiative en Clarea pour le 31 août a été proposée par le mouvement universitaire, puis reprise par la coordination, mais ce divers jours après le 15 août. Je n’arrive pas à comprendre la raison de ces inventions grossières. De même, les polémiques sur les horaires des assemblées me semblent stériles. Que faisiez-vous donc lorsque les assemblées étaient organisées et annoncées ? Dormiez-vous (agités) en rêvant à Lénine entrant dans votre tente ? Peut-être pensez-vous que le mouvement No Tav, ou les autonomes italiens qui vous préoccupent tant, ont eu peur de la puissance de rupture qu’auraient eu vos positions, si vous aviez participé aux assemblées ? Je vous assure, en toute honnêteté, que vous êtes en train de vous surévaluer.

Vous faites de même quant à vos actions : je trouve embarrassant que vous vous soyez auto-décrits comme l’avant-garde militaire prête à pourvoir aux déficiences des militants No Tav italiens. Je ne rentre pas dans les détails pour d’évidentes raisons, mais ceux qui connaissent les faits sauront se forger leur propre avis. Les révolutionnaires dans tous les cas, ne nécessitent pas l’utilisation de ces tons, ni de se vanter d’actions vraies ou romancées, car il est du devoir de tout/e/s militant/e/s d’agir contre l’oppresseur. Ici nous sommes tous camarades et il n’y a pas de héros. La/e militant/e n’agit pas par narcissisme ou pour des problèmes d’estime de soi et a appris de la rue qu’il faut se méfier de ceux qui font un usage emphatique des mots.

En effet, j’ai bien peur que vous préfériez l’image des choses à leur réalité. Car la réalité, et surtout celle du conflit, n’est possible que grâce à l’organisation, comme le reconnaissent même les anarchistes qui luttent dans l’objectif d’ébranler concrètement le système. Étiez-vous vraiment là le 31 août ? On dirait plutôt que vous avez vu un film, c’est peut-être pour cela que vous vous êtes souvenus des Tute Bianche. Cette nuit-là aucun canon à eau n’a été incendié, alors que vous déclarez en avoir vu brûler deux ; j’espère que vous n’en êtes pas réduits au point de confondre un  canon à eau avec quelques tessons de bouteilles. C’est ce dernier point qui a été discuté en assemblée (sans faire de noms et sans mettre en danger qui que ce soit) : si les choses se font bien et de manière organisée, c’est utile ; sinon cela risque seulement de devenir ridicule ou pire de causer des dégâts (surtout dans un bois). Mais visiblement cette fois encore vous n’avez pas compris, la faute aux traductions sans doute, ou peut-être étiez-vous trop fatigués après une marche trop longue pour vous ? (N’aviez-vous donc pas compris que la résistance NoTav n’est pas un dîner de gala ?).

Parmi toutes ces imprécisions et ces malentendus (puisque je ne veux pas pré-supposer de votre mauvais fois) apparaît de manière flagrante l’incompréhension la plus grave, qui concerne la nature même de la lutte en Val Suse. Vous vous êtes convaincus qu’en son sein se joue une lutte entre courants et factions, en particulier entre deux idéologies, celle “anarchiste” dont vous vous revendiquez, et celle “marxiste-léniniste” et “stalinienne” comme vous la définissez. En réalité, il s’agit d’un mouvement populaire tellement riche qu’en son sein évoluent des personnes dont l’appartenance politique, religieuse et culturelle est des plus variée. Les moments de confrontation ne manquent certes pas, mais toujours dans le respect d’un même principe : la vallée n’a besoin  ni d’idéologie, ni de petits professeurs pour la lui enseigner, qu’ils soient français ou italiens, “marxistes-léninistes” ou “antiautoritaires”. Pour comprendre ces dynamiques – il est bon que vous le sachiez – être présent durant l’été au camping de Chiomonte ne suffit pas, car le mouvement est bien plus étendu et complexe que ce que vous avez eu l’occasion de voir durant ces quelques journées ; mais qui sait dans quel état vous vous retrouveriez après avoir vu tout le reste !

En effet, à la lecture de votre document il semblerait qu’un mouvement populaire vous demande trop d’efforts. Peut-être la variété riche et multiforme des sujets sociaux, qui seuls peuvent remettre en cause – dans la pratique et non seulement en théorie – l’ordre établi, ne vous intéresse-t-elle pas. Vous semblez quelque peu coincés dans l’imaginaire du juste libertaire au cœur pur mortifié par le féroce communiste, ou du dangereux subversif français “contrôlé” et “géré” en Val Suse par le perfide autonome piémontais. Cette représentation des mouvements, ou de ce mouvement, peut éventuellement vous permettre de trouver votre place dans l’univers ; mais nous ne pouvons pas vous aider, car ces schémas-là nous les avons abandonnés depuis longtemps. Pour le reste, outre les vacances en Val Suse, offrez-vous également des vacances à l’intérieur du monde dans lequel nous vivons, France comprise. Vous ferez sans doute beaucoup plus peur à vos ennemis, et surtout vous apprendrez à dépasser vos métaphysiques identitaires. Car tel que l’écrivirent ceux qui ont réellement réussi à vaincre quelques autoritaires : « Die Mauer [ist] im Kopf » [« Le mur [est] dans la tête »]…

Un autonome turinois
Comité No TAV Paris, 4 novembre 2012

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3 réponses à « L’Ennemi intérieur au Val Suse » ?

  1. Eddy-Michel dit :

    Robert,
    je ne suis pas sûr que ce texte réponde à un texte qui provienne de Paris…
    Je ne suis pas sûr non plus que tu saches bien de qui tu parles quand tu parles des « anarcho-autonomes » parisiens. A moins que tu ne sois pote avec Alain Bauer et Michèle Alliot-Marie.
    A Paris, je ne vois pas de « parti », pas d’homogénéité mais différentes tendances qui ont plus ou moins de mal à co-exister. Et parmi ces tendances, y’a des « puristes », comme tu dis, qui sont plus ou moins pète-couilles/ovaires.
    Après, tes histoires d’apôtres, de prêches et de « parti », il faut reconnaître que dans une certaine tendance « terroir pseudo-opaque » ou « clandestinité épicière », il y a ce qu’il faut également.
    Pour finir, je ne sais pas d’où provient le texte initial qui est critiqué, et j’ai passé trop peu de temps en Val Susa pour pouvoir « juger » de moi-même, mais c’est clair que bien que je sois plutôt du côté des anarchistes, j’ai bien apprécié le texte de « l’autonome turinois ». Comme quoi les « étiquettes » ne font pas tout.

  2. Tyron Lannister dit :

    Hé Robert Duchnok, faut arrêter de voir des parigos partout. y a pas que Paris et des parisiens en France!

  3. Robert Duschnoll dit :

    Les « anarcho-autonomnes » parisiens. Le parti des purs, des justes, de ceux qui ont tout compris (mais qui lutte visiblemenent toujours ailleurs que chez eux).

    Les voilà, grands cavaliers, faire la prèche aux Autres qu’eux-même. Sur base de leurs idées – pures, disons-le nous.

    Dans des « milieux » qui puent la dépression (de leurs propres prétentions).

    Sans même prendre le temps comprendre la necessité – un ailleurs que ces nous sclérosés – d’une pensée stratégique et collective en/de situation.

    Il faudrait peut-être se retourner sur la question coloniale, qu’ils ne connaissent pas, visiblement – car ils s’en font de bons apôtres.

    Aux pauvres cons qui continuent à faire des prêches. Celle des curés d’hiers, les voilà ceux d’aujourd’hui.

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