La police travaille en Angleterre

Les policiers français font la leçon à leurs collègues britanniques

Reconnue, depuis les événements de mai 1968, pour son savoir-faire en matière de maintien de l’ordre en milieu urbain, la France a transmis aux Britanniques, par l’intermédiaire du cabinet du ministre de l’intérieur, Claude Guéant, une offre d’expertise pour aider à contenir les émeutiers.

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La proposition ne manque pas d’ironie au regard de l’histoire récente qui avait vu une partie de la presse britannique railler des autorités françaises incapables de faire face à l’embrasement des banlieues en novembre 2005.

Néanmoins, selon deux responsables policiers français joints, mercredi 10 août, à Paris, par Le Monde, cette proposition d’« échange d’expérience » ne vise en rien à froisser leurs homologues britanniques, mais s’appuie sur un constat factuel.

La police en Grande-Bretagne ne dispose pas de forces de l’ordre spécifiquement destinées à la lutte contre des phénomènes de guérilla urbaine ou des manifestations à risque. Il n’existerait pas dans ce pays l’équivalent des compagnies républicaines de sécurité (CRS) ou de l’escadron de gendarmerie mobile.

En cas de menace, les autorités équipent des policiers classiques, les bobbies, avec casque et matraque, et leur font jouer un rôle qui n’est pas le leur en temps normal. Résultat : souvent mal équipés, d’après les experts français, ils ne savent pas « évoluer en bloc » et manœuvrer « de façon tactique ».

Ils commettraient par ailleurs des fautes techniques préjudiciables à leur propre sécurité. « Dans les manifestations, détaille un officier de police parisien, ils laissent les gens se promener de part et d’autre du cordon de sécurité, ils laissent des voitures se glisser dans les cortèges, ils ne scellent pas les barrières de protection ensemble ce qui en fait des projectiles dangereux pour les manifestants quand les choses dérapent. »

DIFFÉRENCES DE SAVOIR-FAIRE

De plus, ne disposant que de très peu d’effectifs en réserve, si un événement requiert un grand nombre de membres de forces de l’ordre, les chefs de la police doivent faire appel à des renforts d’autres régions. Or, à l’exception d’un corps national de 4000 fonctionnaires essentiellement concentrés sur des tâches administratives, les policiers dépendent de leur comté.

Donc, pour renforcer Londres, il a fallu dépeupler les services d’autres régions. Mais si d’aventure ces secteurs sont eux-mêmes le lieu de troubles, comment gérer des allers-retours ?

Cette improvisation, cette absence de culture du maintien de l’ordre et de sens de la manœuvre en milieu urbain auraient facilité, selon les deux policiers français sollicités par Le Monde, les exactions des pilleurs, qui ont mis à sac les rues de Londres depuis le 6 août.

La polémique sur l’utilisation des canons à eau ne paraît pas pertinente aux yeux de ces spécialistes français du maintien de l’ordre. « Ces engins sont utiles lorsqu’il s’agit d’affrontements en ligne, explique l’un d’eux, mais là, ce sont des équipes très mobiles qui se savent surveillées par les caméras. Qui voulez-vous arroser ? »

De même, la référence au savoir-faire britannique en Irlande du Nord ne paraît pas nécessairement adéquate, d’après ces experts français. « Cela n’a rien à voir. Là-bas, le périmètre d’intervention était beaucoup plus réduit et surtout les émeutiers ciblent les flics, pas les magasins. »

Contactée mercredi, l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris a admis qu’il existait une différence en matière de maintien de l’ordre entre les deux pays. « Chez nous, le dialogue avec les communautés a longtemps permis de désamorcer les affrontements durs. »

Leur presse (Jacques Follorou, Le Monde.fr), 11 août 2011.

 

Grande-Bretagne : le ton monte entre la police et le gouvernement

Pour la deuxième nuit consécutive, les rues sont restées calmes en Grande-Bretagne. C’est en revanche entre la police et le gouvernement que le ton semble monter, vendredi 12 août. Jeudi, David Cameron convoquait le Parlement en session d’urgence. Une réunion, observée par les médias et attendue par l’opposition et la police, qui souhaitaient une remise en cause des coupes budgétaires dans la police. Mais au lendemain de cette session, les critiques du gouvernement envers la police et le refus de David Cameron de reconsidérer le budget de la police sont vivement contestés.

LE GOUVERNEMENT CRITIQUE LA POLICE, LA POLICE CONTRE-ATTAQUE

Pendant la réunion d’urgence au Parlement, David Cameron a en effet pointé du doigt les « insuffisances » stratégiques et les « mauvais calculs » de la police pendant les émeutes. Peu après, la ministre de l’intérieur, Theresa May, a renchéri, raconte le Guardian : selon elle, la police n’a pas envoyé suffisamment d’agents mardi soir, elle n’a pas répondu « assez fortement » aux émeutiers, elle aurait dû arrêter les délinquants au lieu de les retenir. Enfin, selon elle, la police n’a pas assez utilisé les réseaux sociaux pour se renseigner. Theresa May a également tenu à souligner sa décision de rappeler les agents en vacances pour renflouer les rangs de la police.

Réaction acerbe de la police, par la voix du patron de l’Association des chefs de police, Hugh Orde, rapporte la BBC : ce sont bien les policiers qui ont rétabli l’ordre, le rappel d’agents n’étant « absolument pas dans les compétences » de Theresa May, selon Hugh Orde. Agacement similaire des autres fédérations de police : « [Les agents de police] vont être très énervés par ces commentaires parce que le niveau de violence que l’on a vu était sans précédent », lâche le vice-président de la Police Federation. « Il est sournois de la part des politiques de dire que c’est eux qui ont réglé la situation », renchérit le président de la fédération de police du grand Manchester.

LES COUPES BUDGÉTAIRES, TOUJOURS TRÈS CRITIQUÉES

Surtout, ce sont les coupes budgétaires dans la police qui sont toujours fortement critiquées. David Cameron a de nouveau refusé, jeudi, de revenir sur la réduction des effectifs policiers alors que le chef de l’opposition travailliste, Ed Milliband, l’a interpellé pendant la réunion d’urgence, l’apppelant à « réfléchir » à sa décision.

Le président de la Police Federation estime que David Cameron refuse de voir la réalité : « Les 16’000 policiers [supplémentaires] qui ont été envoyés dans les rues de Londres, c’est exactement le nombre d’agents qu’il veut retirer — c’est ça la réalité », peut-on lire dans le Guardian. Dans le cadre d’un plan d’austérité, le budget des forces de l’ordre doit en effet être amputé d’un cinquième. Traduction sur le terrain : 16’200 policiers en moins, outre 16’100 postes supprimés dans l’administration d’ici à 2015, comme le rapportait LeMonde.fr en juillet.

Même critique d’Hugh Orde, au journal du soir de la BBC : les restrictions de budget amèneront « “inévitablement” à moins d’agents et par conséquent rendront le travail plus difficile », a déclaré l’officier. Face aux émeutes, David Cameron a préféré afficher un discours ferme et multiplier les annonces répresssives : pouvoirs accrus aux forces de l’ordre, renforts massifs de police et recours autorisé aux canons à eau.

Leur presse (LeMonde.fr), 12 août 2011.

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